Le long périple parlementaire de la réforme des retraites est terminé. Après un vote favorable au Sénat jeudi 16 mars, Emmanuel Macron et son gouvernement ont préféré brandir l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer le texte en force, sans consulter les députés. Pour l'exécutif, obtenir une majorité dans cette Assemblée nationale éclatée et chauffée à blanc paraissait délicat, voire impossible. Lundi 20 mars, les deux motions de censure déposées par les oppositions pour faire tomber Elisabeth Borne et ses ministres ont été rejetées. La réforme des retraites va donc être inscrite dans la loi (après un passage entre les mains du Conseil constitutionnel).
Le projet de loi présenté au mois de janvier par le gouvernement et très critiqué depuis par les syndicats, les oppositions politiques et une large partie de la population, prévoit ainsi le report de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, l'accélération de l'allongement de la durée de cotisations à 43 ans dès 2027, la création d'un "CDI seniors" et la mise en place d'un "index seniors" dans les entreprises pour encourager l'emploi des plus âgés...
Mais cette loi ne s'appliquera pas partout et de la même manière dans les différents territoires d'Outre-mer, exceptions constitutionnelles obligent. Outre-mer La 1ère fait le point.
-
La loi s'appliquera dans les départements et régions d'Outre-mer...
Comme le rappelle le professeur de droit public et président de l'AJDOM (Associations des juristes en droit des Outre-mer) Ferdinand Mélien-Soucramanien, "les DROM [départements et régions d'Outre-mer] sont régis par le droit commun". Ces DROM, ce sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte et La Réunion. Ainsi, toute loi votée par le Parlement s'applique dans ces territoires.
Mais, et c'est une particularité propre aux territoires d'Outre-mer, le droit peut être adapté dans ces cinq départements et régions ultramarines. "La condition, c'est que cette adaptation tienne lieu de ce que la Constitution appelle les caractéristiques et contraintes particulières", ajoute le constitutionnaliste réunionnais. Pour cause d'insularité, de situations économiques, sociales ou environnementales particulières, les DROM peuvent, par un amendement par exemple, demander à ce que la loi ne s'applique pas dans leur territoire.
C'est ce qu'avaient tenté de faire les députés d'Outre-mer au début de l'examen de la réforme des retraites. Car en Guadeloupe, en Martinique ou encore à La Réunion, les retraités ultramarins ne jouissent pas de la même retraite que les Français de l'Hexagone. Mais l'exemption leur a été refusée.
-
... sauf à Mayotte
Mayotte est un cas très particulier dans ce processus législatif. La départementalisation de l'île n'ayant eu lieu qu'en 2011, l'île n'en est qu'au stade d'adaptation de la loi pour que sa situation converge avec celle des autres départements français.
Dans un rapport parlementaire de 2020, les députés Mansour Kamardine, Serge Letchimy et Sophie Panonacle indiquaient que la retraite moyenne à Mayotte n'était que de 282,35 € par mois. Pour une carrière complète, les Mahorais ne recevaient qu'une pension moyenne de 617 €. Depuis 2011, les âges de départ minimal à la retraite et d'obtention de la retraite à taux plein convergent petit à petit vers le système actuellement en vigueur ailleurs en France. Difficile, donc, d'appliquer comme dans le reste du pays le report de deux ans de l'âge légal dans le département de Mayotte.
Les élus mahorais ont toutefois réussi à obtenir des avancées pour leur île. Par exemple, l'ASPA (allocation spéciale pour personnes âgées), destinée aux plus modestes, mais dont le montant est moins élevé à Mayotte, y sera revalorisée à titre exceptionnel à partir du 1er septembre 2023.
Le sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi a par ailleurs salué le vote de la revalorisation des retraites minimales dans le département.
-
Dans les collectivités d'Outre-mer, l'application de la loi n'est pas automatique
À Saint-Pierre et Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna, qui ont un statut de collectivités d'Outre-mer, l'affaire est différente.
Dans les collectivités d'Outre-mer, la loi et les règlements ne sont pas applicables de plein droit. Mais le législateur peut décider de l'appliquer.
Ferdinand Mélien-Soucramanien, professeur de droit
Il faut donc explicitement intégrer un ou plusieurs de ces territoires dans le texte de loi pour que les nouvelles règlementations s'y appliquent.
Dans le cas des retraites, l'application de la réforme dépend alors des compétences des différentes collectivités. La Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, qui disposent d'un gouvernement autonome, gèrent directement leurs propres systèmes de retraites. L'archipel de Wallis et Futuna dispose également d'une caisse de retraites spécifique.
Dans ces collectivités, seule la fonction publique d'État dépend de la législation votée à Paris. C'est d'ailleurs pour ça qu'il y a eu des manifestations contre la réforme portée par Elisabeth Borne et son gouvernement en Polynésie, par exemple.
Aux Antilles, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui étaient historiquement liées à la Guadeloupe, appliquent toujours le régime général. La loi s'y appliquera donc comme dans les DROM.
Enfin, le cas de Saint-Pierre et Miquelon est bien particulier. L'archipel dispose de sa propre caisse d'assurance vieillesse. Le député Stéphane Lenormand, interrogé jeudi 16 mars par Outre-mer La 1ère, expliquait qu'il y a "un système de convergence, de rapprochement des régimes" entre la caisse locale et le régime général. Or, comme à Mayotte, le processus étant en cours, le changement prévu par la réforme des retraites serait trop abrupte pour les Saint-Pierrais et les Miquelonnais. Lors des débats au Sénat, le sénateur Stéphane Artano, opposé à la réforme, avait ainsi obtenu la suppression de la mention de Saint-Pierre et Miquelon dans un amendement qui voulait inclure l'archipel dans le projet de loi.