Des niveaux de vie inférieurs. Des prix largement supérieurs. Le problème de la vie chère en Outre-mer est connu et documenté depuis longtemps. Et pourtant, les disparités de pouvoir d'achat entre l'Hexagone et les territoires ultramarins persistent. Avec le double objectif de diagnostiquer les mécanismes menant à ce grand écart des prix, et de préconiser des solutions pour remédier à ce fléau économique et social, l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité la création d'une commission d'enquête sur le coût de la vie en Outre-mer, jeudi 9 février.
"Cette vision globale [sur le coût de la vie ultramarine] permettra d'objectiver clairement et de mieux comprendre plusieurs de ses conséquences majeures", a exposé à la tribune le député martiniquais Johnny Hajjar (PS), à l'origine de la proposition de résolution.
Aujourd'hui, face à la spirale inflationniste qui vient encore frapper ces territoires confrontés au mal-développement, les Outre-mer pourraient de nouveau se transformer en poudrière sociale.
Johnny Hajjar, député (PS) de Martinique
Après nombre de rapports, avertissements et questions au gouvernement, c'est la première fois qu'une commission d'enquête parlementaire s'attaque à ce sujet. "Cette commission d'enquête a des pouvoirs exhaustifs, a expliqué Johnny Hajjar à Outre-mer La 1ère. Elle a les moyens de faire auditionner sous serment et d'obliger à la transparence."
Unanimité parlementaire
"La commission d'enquête devra porter ses travaux sur la formation des prix, l'accumulation des marges, la concentration verticale, particulièrement en mettant en lumière la consolidation des phénomènes oligopolistiques et monopolistiques", a exposé Johnny Hajjar face aux députés. Le Martiniquais a donné l'exemple du transporteur CMA-CGM, qui domine le marché du fret maritime aux Antilles depuis la disparition de son concurrent danois Maersk, et est donc plus à même de fixer ses prix, au détriment des régions ultramarines qui dépendent de l'importation de marchandises.
Examinée dans le cadre de la niche parlementaire du groupe socialiste à l'Assemblée, la proposition de créer cette commission d'enquête a été accueilli favorablement par tous les groupes politiques.
Lors de la séance publique, Elie Califer, élu martiniquais socialiste, a pointé du doigt le "manque de volonté politique" des gouvernements successifs, qui disposent selon lui d'outils pour lutter contre la vie chère, mais ne les utilisent guère. Grâce à cette commission, il espère "questionner [le] désengagement [de l'État] et son sous-investissement chronique dans les infrastructures de base des Outre-mer", a-t-il lancé à la tribune.
Bien que la majorité présidentielle s'est, elle aussi, réjouie d'une telle initiative en faveur des territoires ultramarins et a apporté son soutien au texte de Johnny Hajjar, les députés Renaissance et Horizons ont appelé à ne pas tirer de conclusions hâtives sur les causes de ce fléau. Car selon eux, le gouvernement a déjà pris des mesures en faveur du pouvoir d'achat des Français d'Outre-mer. Ils ne voudraient pas que cette commission se transforme en tribunal jugeant l'exécutif actuel.
La Nouvelle-Calédonie exclue du champ d'action de la commission
Dans le passé, d'autres commissions ont permis de mettre en lumière des problèmes inhérents aux territoires d'Outre-mer, comme la commission d'enquête sur l'eau en Guadeloupe (2021) ou encore celle sur le chlordécone (2019). Avec cette nouvelle initiative, les représentants ultramarins ont bon espoir d'enfin traiter à la racine ce mal qui ronge les Outre-mer depuis des décennies.
Nous ne demandons pas l'aumône (...). Nous exigeons, nous revendiquons et nous irons jusqu'au bout pour que la justice sociale et économique soit rendue.
Jiovanny William, député (GDR) de Martinique
Seul débat qu'a suscité l'examen du texte de Johnny Hajjar jeudi matin à l'Assemblée : l'exclusion de la Nouvelle-Calédonie du champ d'action de la commission d'enquête. Le Rassemblement national s'est ému de cette exception calédonienne, alors que tous les autres territoires seront examinés. Le territoire du Pacifique étant régi par un statut particulier, et les autorités locales ayant des compétences très spécifiques, le rapporteur du texte s'est prononcé contre l'inclusion de la Calédonie dans l'enquête. Les travaux de la commission sont prévus pour durer six mois, "plus on rallonge la charge de travail, plus on va réduire l'efficacité et le rendu de la commission", s'est justifié le député martiniquais. Reste que "rien n'empêche que les travaux qui aboutiront ne puissent servir aussi à la Calédonie", a voulu rassurer l'élu d'origine martiniquaise Maud Petit (Modem).
Ce vendredi 10 février, le ministre chargé des Outre-mer, Jean-François Carenco, qui a lancé en juillet dernier un "Oudinot de la vie chère", doit rencontrer des élus pour discuter justement du problème de pouvoir d'achat dans les territoires ultramarins.