Que contient le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur le chlordécone ? [SYNTHÈSE]

Justine Bénin, rapporteure, et Serge Letchimy, président de la commission d'enquête parlementaire sur l'impact du chlordécone aux Antilles, lors de l'audition de la ministre des Outre-mer Annick Girardin le 15 octobre 2019 à l'Assemblée nationale.
Après six mois de travaux et d'auditions, la commission d'enquête parlementaire sur le chlordécone rend ses conclusions. Quels constats et quelles propositions ? 
En six mois de travaux, la commission d'enquête a réalisé une trentaine d'auditions à l'Assemblée nationale et autant en Guadeloupe et en Martinique. Objectif : faire la lumière sur ce qui a mené au scandale du chlordécone, déterminer les responsabilités et enfin évaluer l'impact sur les territoires antillais et leurs populations. A l'issue de ces travaux, la commission d'enquête remet ce mardi ces conclusions. Quarante-neuf propositions au total, dont La1ère.fr fait la synthèse. 
 

► Responsabilité de l'État 

"Le chlordécone est bien avant tout un scandale d'État" : en préambule du rapport, Serge Letchimy, qui préside la commission d'enquête, ne fait pas de mystères.
 

L'État a autorisé l'emploi d'une substance, et maintenu son usage, en dépit des connaissances scientifiques et des signaux d'alerte [...]. Sans contestation aucune, la responsabilité de l'État est reconnue et l'engage à mettre en place des mesures de réparation exceptionnelles.
Serge Letchimy, président de la commission d'enquête


L'un des buts de cette commission était de comprendre clairement comment ce pesticide jugé toxique dès la fin des années 60 a pu être utilisé en toute connaissance de cause dans les bananeraies antillaises jusqu'en 1993. Malheureusement, si la part de responsabilité de l'État a été pleinement reconnue par la commission et par le gouvernement, les implications exactes ne sont pas tout à fait claires en raison d'archives manquantes : "les compte-rendus du comitié des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés n'ont pas été retrouvés pour la période allant de 1985 à 1993". 
 
Néanmoins, après audition de la filière banane des Antilles et des entreprises ayant eu des homologations, la commission a déterminé une responsabilité partagée entre l'État, les "fabricants et distributeurs", les "groupements professionnels, les grandes exploitations bananières et leurs représentants". 
 

► Fonds d'indemnisation

Cette responsabilité amène directement à la question de l'indemnisation : comment réparer les préjudices subis par la population, à quel prix et sous quelles conditions ? Le président Serge Letchimy s'était dit favorable à la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes du chlordécone, bien que cela soit sujet à débat. Et si l'ampleur des préjudices ne peut pas être déterminée "avec précision à ce jour", certains peuvent déjà faire l'objet de réparation. 

La commission propose pour cela de créer "un fonds d'indemnisation pour réparer les préjudices subis par les victimes atteintes d'une pathologie résultant directement d'une utilisation du chlordécone ou occasionnée par l'exposition au chlordécone", mais demande "une expertise avant toute initiative".

Le chlordécone, classé comme "cancérogène possible pour l'homme" est soupçonné par certains scientifiques d'être à l'origine de cancers de la prostate et de dérèglements hormonaux. La Guadeloupe et la Martinique se classent par ailleurs depuis plusieurs années parmi les territoires avec les plus forts taux de cancers de la prostate. 
 

► Protéger la population

Afin d'aider la population à se protéger, la commission préconise la généralisation de la prise en charge du coût de l'analyse des sols, oscillant aujourd'hui entre 87 et 142 euros. Il faudrait également réaliser "une cartographie intégrale de l'état de contamination des sols susceptibles d'être pollués" et renforcer les moyens financiers alloués à la prévention pour la culture dans les jardins privés, dits "jardins familiaux". 
 
Autre dépistage préconisé, celui de la contamination du sang des personnes exposées pour "proposer un suivi sanitaire systématique". Enfin, la commission propose de faire diminuer le risque de contamination par la prévention au travers de la mise en place "réseaux d'éducation sanitaires" et de référents locaux, ainsi que des campagnes de communication et de sensibilisation sur le cancer de la prostate. 
  

► Aider les producteurs et les pêcheurs

Ils sont aussi des victimes directes du chlordécone, qu'ils aient été exposés au pesticide ou bien que leurs productions aient été touchées par la pollution. Les agriculteurs sont contraints de respecter des limites maximales de résidus (LMR) dans leurs produits, tandis que les pêcheurs sont forcés d'aller plus au large, ce qui coûte plus cher. 
 
Les précédents Plans chlordécone ont permis la mise en place de mesures d'accompagnement financier des producteurs, notamment dans le secteur de la pêche, mais la commission préconise de mettre en place de nouveaux financements.
 

Il est urgent d'accompagner financièrement les filières économiques affectées par cette pollution par l'intermédiaire d'un fonds d'indemnisation. 
Justine Bénin, rapporteure


Parmi les suggestions, mobiliser les aides de l'État afin de renouveller les flottes de pêche, exonérer de charges les marins-pêcheurs pendant 3 ans, mettre en place des primes pour les agriculteurs et les pêcheurs entrant dans une démarche "zéro chlordécone" ou encore, créer des lycées professionnels maritimes aux Antilles afin de développer le secteur de la mer.
 
La commission suggère également d'aider au développement de nouvelles pratiques agricoles "saines et respectueuses de l'environnement" en faisant mieux connaître l'agriculture hors sol et les aides à la conversion en agriculture biologique. Cela pourrait permettre l'élaboration d'un label de production de qualité pour favoriser la consommation locale, limiter les importations et garantir la traçabilité des produits. 
 

► La recherche, priorité stratégique

C'était l'un des points importants des auditions des ministres par la commission : le manque de recherches scientifiques sur le chlordécone, son impact sur la santé et sur l'environnement. La rapporteure estime donc nécessaire de faire de la recherche sur le chlordécone une "priorité stratégique" avec notamment des financements sur les études des techniques de dépollution des sols et des risques pour la santé. Cela pourrait passer par la recherche locale, via la création d'un institut pluridisciplinaire sur le chlordécone au sein de l'université des Antilles. 
  

► Loi-cadre et délégué interministériel

La commission propose également de mettre en place une loi d'orientation et de programmation afin de guider la gestion du dossier chlordécone. "Seule une loi de programmation permettrait de garantir aux populations ces objectifs et les moyens correspondants", a estimé la rapporteure Justine Bénin dans le rapport.  "L'engagement financier de l'État devra être à la mesure des enjeux et permettre aux populations de concevoir un projet de développement pour l'après-chlordécone."

Cette loi-cadre devra donc servir à piloter la mise en application des mesures du prochain Plan chlordécone, le quatrième depuis 2008. Et afin de piloter ce plan, la commission propose la création d'un poste à plein temps de délégué interministériel "chlordécone", nommé en Conseil des ministres.
 

Les politiques publiques formalisées dans le cadre de différents Plans chlordécone, nécessitent d'être incarnées avec une personnalité qui puisse mobiliser et coordonner les acteurs publics et privés et rendre compte auprès des élus et des populations des actions menées et des résultats obtenus.
Justine Bénin


Le Plan chlordécone IV pourrait également être précédé par un débat devant le Parlement avant son adoption, mais aussi par des consultations citoyennes au travers de conseils et de comités locaux chargés d'émettre des propositions, puis de faire un suivi de l'exécution des mesures.