Pour le chevalier de Saint-George, la Révolution française a été une période rude. Après son séjour en prison, les dernières années de la vie du chevalier ne sont pas aussi fastueuses que sa période de gloire en tant qu’escrimeur et musicien. Saint-George s’éteint le 9 juin 1799. Il ne meurt pas abandonné et ignoré de tous.
En revanche, dans les années qui suivent son décès, son histoire et sa musique sont progressivement oubliées. Malgré des rappels sporadiques, il faut attendre la fin du 20e siècle et ce début de 21e siècle pour que le chevalier de Saint-George se rappelle à nous.
Nous avons choisi de vous raconter le parcours du chevalier de Saint-George en six épisodes de 30 mn. Voici le dénouement.
Sixième épisode : mort et renaissance du chevalier
Retrouvez ici les six épisodes de Zistoir consacrés au chevalier de Saint-George.
Pour chaque épisode, nous vous proposons en bonus un extrait de l’interview de l’un des invités du podcast. Cette semaine, il s’agit de Laurent Joffrin, ex-directeur de Libération et du Nouvel Obs. En 2022, il a repris l’écriture d’une série de romans policiers dont l’action se déroule au 18e siècle. Son héros et enquêteur du roi se nomme Nicolas Le Floch. Et dans l’un de ses romans dénommé L’énigme du Code noir, Laurent Joffrin donne vie au chevalier de Saint-George.
Outre-mer la 1ère : Comment avez-vous fait la connaissance du chevalier de Saint-George ?
Laurent Joffrin : Je le connaissais vaguement de nom. Je savais que c'était un protagoniste de la lutte contre l'esclavage, et surtout un homme de cour fascinant. Il avait cette double qualité d'être à la fois un escrimeur redoutable, l’un des plus doués de son temps, paraît-il et puis un compositeur extrêmement doué de musique de chambre, d'opéra ainsi qu'un violoniste virtuose. Ce qui composait un personnage étrange, un noir, fils d'esclave, sa mère étant esclave, reçu à la cour de Louis XVI. Ensuite, il a pris fait et cause pour ce qu'on appelait les libres de couleur, les esclaves affranchis. Et il a joué un rôle dans la Révolution. Il avait constitué une légion qu’on appelait la Légion noire qui se battait pour la République. Elle était composée de gens issus d'Afrique ou des colonies, parmi lesquels il y avait d'ailleurs le père d'Alexandre Dumas.
Donc ce personnage, très peu connu en fait, jouait un rôle historique. Et c'est une personnalité fascinante parce que venant de Guadeloupe, faisant en principe partie des parias de l'époque, il s'est retrouvé élevé par un aristocrate maître d'escrime et il est devenu un musicien virtuose. C’est totalement incroyable. L'Ancien régime était raciste, il en a été victime, mais il a quand même été proposé pour être le chef de l’Académie royale de musique. La reine était d'accord. Marie-Antoinette n'était pourtant pas l’une des plus progressistes de son époque. Il y a eu une cabale contre lui, menée par des racistes, des gens qui avaient des préjugés, notamment des chanteuses et comédiennes qui ne voulaient pas se trouver sous la direction d'un Noir. Et finalement, la reine a cédé.
Cependant, à la cour, il était l’un des hommes les plus connus, notamment parce qu'il était noir. C'était inhabituel et beaucoup de gens de l'aristocratie devaient trouver ça original et intéressant. Ils n'avaient pas de préjugés. Les préjugés venaient surtout du parti colonial, c'est-à-dire des nobles qui étaient à la cour et qui avaient des intérêts dans les colonies. Ils se disaient, j'imagine : "comment est-ce qu'on peut promouvoir à tel point, sur le plan mondain, un Noir, un Guadeloupéen ?" Alors que dans les colonies, il y avait une séparation stricte des Noirs entre esclaves et affranchis. Et s'ils étaient affranchis, ils avaient une condition inférieure à celle des colons blancs. Donc son parcours raconte de manière beaucoup plus nuancée et subtile l'histoire et la situation des esclaves ou des affranchis et la lutte contre l'esclavage.
Qu'est-ce qui vous a décidé à donner un rôle important au chevalier de Saint-George dans votre roman L'énigme du Code noir ?
Le personnage est fascinant en soi. Pour un roman, un polar qui se passe au début de la Révolution, il avait quand même ces trois caractéristiques. Ses origines étaient inhabituelles, mais vraisemblables. Deuxièmement, c'était un musicien et un intellectuel raffiné, subtil, intelligent, drôle, plein d'esprit et enfin, c'était un bon escrimeur. Donc, comme dans mes romans, il y a souvent des scènes d'action. Il était utile d'avoir un personnage qui bat tout le monde à l'escrime. C'est formidable pour un roman.
Le chevalier de Saint-George mène l'enquête avec Nicolas Le Floch, votre héros. Il est plus qu'un allié, il a un rôle à part entière.
J’en ai fait un personnage presque plus intelligent que la moyenne de son époque. Il est accusé à un moment, et il est mis en prison. Il est obligé de prouver son innocence lui-même puisque les préjugés de l'époque font qu'il était coupable désigné. Donc, il met au service de sa propre défense ses capacités de subtilité, d'intelligence hors du commun. Il devient enquêteur avec mes deux héros, Nicolas Le Floch et Pierre Bourdeau, l'adjoint de Le Floch. Il leur explique comment procéder. Ses ennemis ont truqué ses partitions pour les coder avez un système d'écriture cryptée. Il remonte toute la filière pour sortir de l'embarras dans lequel il se trouve. Ensuite, il sympathise avec les deux commissaires qui finissent par se rendre à ses raisons. Ils comprennent qu'il a été plus rapide. Comme il est courageux et physiquement fort et en plus redoutable dans les combats à l'épée, il les seconde dans la poursuite des criminels. Tout ça aboutit à des duels. Il y a un côté d'Artagnan. À la fin, une scène spectaculaire a lieu dans la baie de Saint-Malo. Le chevalier avec les deux policiers déroute un bateau et l'envoie sur les rochers pour empêcher le criminel en chef de s'échapper vers les Amériques.
Dans ce roman, vous donnez la parole au chevalier de Saint-George. Comme il sympathise finalement avec vos deux héros, il participe à un diner au cours duquel vous lui faites dire ceci :
En fait, les préjugés de race ont été inventés pour justifier une nécessité économique née de l'avidité des planteurs. Ils affectent du mépris pour les hommes comme moi pour pouvoir les asservir à leur prospérité, pour la consolider, ils répandent partout l'idée que la nature nous a rendue inférieurs, ce qui ne repose sur rien d'autre que sur leur soif de profit. Voilà qui ferait un intéressant mémoire.
Extrait de L'énigme du Code noir
Alors, j'ai un peu mis mes idées là-dedans évidemment. C'est quand même commode d'être romancier. C'est plus facile que d'être journaliste, parce que quand il vous manque un élément, vous pouvez l'inventer !
Comment avez-vous imaginé cette tirade que vous faites dire au chevalier de Saint-George ?
C'est l'une des thèses sur l'interprétation du racisme et de l'esclavage. Elle est d'ailleurs contestée et contestable. Mais elle a un fond de vérité, c'est-à-dire que dès lors que les Européens sont arrivés dans ce qu'on appelait le Nouveau monde, certains étaient mus par des considérations religieuses, ils voulaient évangéliser de nouvelles populations. Mais très vite, l'esprit de lucre l'a emporté. Et donc, pour justifier les incroyables massacres qu'ils ont perpétrés et la sujétion qu'ils ont imposée aux populations locales, ils ont dit : "Mais ce n'est pas tout à fait des hommes, ce sont des gens très inférieurs". Ils prenaient des exemples comme le cannibalisme. "La preuve, insistaient-ils, ils ont des dieux complètement divers et variés. Ils ne comprennent rien à nos religions. Donc ce sont des gens inférieurs". Et des gens considérés comme inférieurs, on pouvait les utiliser comme main d'œuvre forcée. Donc l'esclavage est aussi venu de là. Alors en fait, ce n'est pas tout à fait vrai parce que sous l'Antiquité, on mettait en esclavage les peuples vaincus, mais on ne déclarait pas forcément qu'ils étaient d'une race inférieure. On les appelait barbares, ce qui signifiait non Grecs ou non Romains. Mais dans la longue histoire coloniale de la France, très vite l'idée s'est imposée qu'on pouvait maltraiter de manière barbare, pour le coup, les peuples autochtones parce qu'ils étaient inférieurs. Tout simplement.
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Et consultez ci-dessous, les articles qui accompagnent chacun des épisodes.
Episode 1 : Comment le chevalier de Saint-George, né esclave en Guadeloupe, est devenu une star au 18e siècle ?
Episode 6 : Pourquoi le chevalier de Saint-George est-il "un formidable personnage de roman" selon Laurent Joffrin ?