1789, les Français se révoltent contre les inégalités. C’est le début de la Révolution française. Le chevalier de Saint-George qui navigue dans des eaux très aristocratiques applaudit ce désir de justice. Il s’engage militairement. Il devient le premier colonel noir de l’armée française. Mais autant son parcours dans l’escrime et la musique sont remarquables, autant sa carrière éphémère de colonel s’avère compliquée en cette période révolutionnaire. Et même s’il contribue à sauver la Révolution, en dénonçant la trahison de Dumouriez, il ira malgré tout en prison pendant des mois.
Nous avons choisi de vous raconter le parcours du chevalier de Saint-George en six épisodes de 30 mn.
Cinquième épisode : de la légion à la prison, Saint-George et la Révolution
Retrouvez ici les six épisodes de Zistoir consacrés au chevalier de Saint-George.
Pour chaque épisode, nous vous proposons en bonus un extrait de l’interview de l’un des invités du podcast. Cette semaine, il s’agit de Florence Alexis, commissaire de l’exposition Oser la liberté, figures des combats contre l’esclavage (Panthéon, novembre 2023 -février 2024) et auteure du livre du même nom.
Outre-mer la 1ère : Quand l'esclavage est aboli pour la première fois en France le 4 février 1794, le chevalier de Saint-George est en prison. Est-ce qu’à votre avis, il a pu apprendre la nouvelle ?
Florence Alexis : Forcément. Il est en prison en France et non pas dans les colonies, et il ne va pas y rester très longtemps. L’anecdote qui le fait rentrer en prison est d'ailleurs extrêmement intéressante parce qu'elle relève probablement de discriminations raciales puisque c'est lui qui découvre probablement la trahison du général Dumouriez. C’est un épisode très connu de l'histoire de France. Dumouriez est un général de la Révolution qui veut pactiser avec les ennemis de la Révolution. Le chevalier de Saint-George, qui commande la fameuse Légion noire de la Révolution, observe une scène dans laquelle il comprend que Dumouriez et ses officiers sont en train de trahir. Il va alerter la ville la plus proche. Et pourtant on va l’emprisonner. Donc, je pense que dans sa prison, il n’est absolument pas coupé du monde. Il apprend forcément la nouvelle de l'abolition qui va être une grande fête.
Justement quand l'abolition de l'esclavage finit par être adoptée par décret par la Convention le 4 février 1794, est-ce que cette décision est fêtée partout en France ?
Oui, ça fait l'objet de très grandes fêtes. Il faut dire que ce décret fait suite à une abolition locale à Saint-Domingue (actuel Haïti) où une énorme insurrection d'esclaves s'est déclenchée. Les esclaves réclament l’application de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans les colonies. Et donc l'abolition est prononcée en 1793 par le jacobin Sonthonax envoyé par la Révolution pour calmer la situation. Il comprend qu'il ne va pas pouvoir renvoyer les esclaves dans les plantations. Quand il rentre en France, il obtient une abolition totale dans toutes les colonies. Elle est fêtée dans 40 villes de France qui vont faire des processions, des discours, des spectacles, des chansons, des pièces de théâtre. Il y a tout un cérémonial. Il y a même un livre d'histoire qui a été écrit juste sur le cérémonial de la fête de l'abolition de l'esclavage. À Paris, c'est une très grande fête puisqu'elle est célébrée à Notre-Dame qui à l'époque est désacralisée et s'appelle le Temple de la Raison. Il y a une cérémonie à Notre-Dame puis dans le jardin des Tuileries. Le soir, il y aura de la musique. Beaucoup de villes en France vont faire de même.
Est-ce que même pendant la Révolution française, le lobby colonial était très efficace ?
Surtout durant la Révolution ! Ils avaient peur de perdre leurs énormes profits économiques. 50 % du commerce colonial de la France est entre leurs mains. Donc il est évident qu'ils vont se battre pour ne pas perdre ces revenus faramineux qu'ils font sur le vol du travail des Africains déportés et sur le commerce des denrées produites. Donc effectivement, le lobby colonial est très actif, notamment dans les tout débuts de la Révolution. Par exemple, l'année qui suit la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Mirabeau, grand orateur et grande figure de la Révolution, prononce un discours au club des Jacobins après s'être documenté sur les conditions dans lesquelles les denrées sont produites et particulièrement les conditions dans lesquelles des Africains sont déportés. Il est tellement horrifié qu'il écrit un discours mémorable que tous les historiens connaissent. Il s’intitule Les bières flottantes des négriers. Il définit les bateaux négriers comme des cercueils flottants en mars 1790 au club des Jacobins. Son récit est absolument magistral. C'est un immense orateur, il est d'une efficacité redoutable. On sait que ce discours, en fait, il se le met en bouche, il le répète parce qu'il est inscrit parmi les orateurs, le lendemain, à l'Assemblée, à la Convention. Mais là, des membres du club Massiac, le lobby colonial, ont entendu le discours de Mirabeau au club des Jacobins. Ils vont voir Barnave, le président de l'Assemblée de la Convention, ils l'achètent et lui demandent d'empêcher Mirabeau de prendre la parole ce jour-là. Le lobby colonial sait que si Mirabeau ouvre la bouche, l'abolition est prononcée immédiatement, soit quatre ans avant le moment où elle va être décrétée par la suite. Donc, il s’agit d’un rendez-vous manqué. Le lobby colonial va rester très puissant à travers toutes les époques et notamment sous Bonaparte où il va encore à nouveau faire jouer ses intérêts. Même après la révolution de 1848, Victor Schœlcher va devoir également composer avec ce lobby colonial qui résiste à toutes les décisions menaçant le produit de son revenu et la source de sa richesse.
Dans les dernières années de sa vie, le chevalier de Saint-George s'est peut-être rendu à Saint-Domingue entre 1795 et 1797. C'est ce qu'atteste Louise Fusil dans ses Mémoires d'une comédienne. Qu'est-ce que l'on sait à ce sujet ?
Très peu de choses. Moi qui travaille avec des historiens quand je fais une exposition, tous les faits que j'établis sont des faits étayés. Il faut pouvoir croiser l'information. Si nous n'avons qu'une seule source, Les mémoires d'une comédienne, c'est très difficile. À l'époque, on est dans un milieu dans lequel Saint-George est sans cesse renvoyé à ses origines et à sa couleur. Il se peut très bien que quelqu'un ait dit qu'il était parti à Saint-Domingue, même si ça n'est pas le cas. De toute façon, la situation à Saint-Domingue est telle qu'il aurait pu effectivement être utile. Beaucoup d'officiers noirs de l'armée française vont rentrer à Saint-Domingue à ce moment-là et vont même servir dans les rangs de Toussaint Louverture, qui a acquis énormément de puissance dans l'île.
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Episode 1 : Comment le chevalier de Saint-George, né esclave en Guadeloupe, est devenu une star au 18e siècle ?
Episode 6 : Pourquoi le chevalier de Saint-George est-il "un formidable personnage de roman" selon Laurent Joffrin ?