"Pendant que Mozart était humilié, le chevalier de Saint-George, né esclave en Guadeloupe, avait un public énorme" raconte Alain Guédé

Le chevalier de Saint-George, en plus d’être un escrimeur exceptionnel, pratiquait également la natation, l'équitation ou encore la danse. Mais surtout, il était connu en tant que violoniste virtuose. Chef d’orchestre apprécié et compositeur inspiré, il figurait en haut de l’affiche à Paris. Après sa mort en 1799, sa musique est tombée dans l'oubli. Depuis une quarantaine d'années, l'œuvre de Saint-George est de plus en jouée. Nous avons choisi de vous raconter le parcours du chevalier en six épisodes de 30 mn. Le récit est vivant, enrichi de nombreuses interviews d’écrivains, d’historiens, de musiciens et d'archives.

Quatrième épisode : Saint-George ou les mélodies du bonheur 

Retrouvez ici les six épisodes de Zistoir consacrés au chevalier de Saint-George.

Pour chaque épisode, nous vous proposons en bonus un extrait écrit de l'interview de l'un des invités du podcast. Cette semaine, il s’agit de l’écrivain et journaliste Alain Guédé, président de l’association Le concert de monsieur de Saint-George et auteur d'une biographie intitulée Monsieur de Saint-George, le nègre des lumières (Actes Sud).

Outre-mer la 1ère : De son vivant, Saint-George a connu beaucoup plus de succès avec ses œuvres instrumentales que ses opéras. Il a aussi composé des romances, ces chansons de l’époque qui ont beaucoup plu. C’était un compositeur qui avait l'estime du public. Est-ce que les critiques avaient la dent dure avec Saint-George ?

Alain Guédé : Oui et non. Il y en avait qui étaient très laudatifs et d'autres qui lui reprochaient la médiocrité de ses livrets d’opéra. Les librettistes qu’il avait choisis n’étaient vraiment pas da Ponte (NDLR : Lorenzo da Ponte est l’auteur des livrets des trois grands opéras de Mozart). Quand on les regarde, quand on les lit, c'est souvent assez indigent. Il y a beaucoup de mièvreries et ça, les critiques ne le lui ont pas pardonné.

Il n'était pourtant pas responsable de la médiocrité des livrets.

Saint-George a quand même choisi ses librettistes. Cela dit, da Ponte est un génie, car quand on lit la colossale littérature lyrique de l’époque, il y a fréquemment des mièvreries : les amours des deux domestiques, la gentillesse des maîtres... Dans un dé à coudre, on faisait un opéra et les siens, c’est vrai, ne sont pas très bons, c'est dommage. En revanche, la musique est toujours considérée comme sublime avec parfois un écho raciste de la part de certains critiques qui estiment que Saint-George est très doué dans l'art d'imiter les autres musiciens. Ce qui est ridicule, car c'est plutôt le contraire qui s'est produit. Historiquement, ce qu'on voit, ce sont les emprunts à Saint-George et non pas les emprunts de Saint-George.

Vous voulez dire qu'on a plutôt emprunté à la musique de Saint-George qu’il ne s'est inspiré d'autres compositeurs ?

Oui, le premier, c'est Mozart. Il y a des pages entières de Saint-George dans le répertoire de Mozart. Il n'y a pas que moi qui le dit ! Le Mozarteum de Salzbourg (NDLR : École supérieure de musique) le montre. Il y a cinq ou six emprunts selon eux. J'en ai trouvé plus que ça, plus spectaculaires aussi. Mais le Mozarteum -c'est assez drôle- estime que Mozart a certes emprunté à Saint-George, mais moins que Beethoven !

Beethoven a aussi emprunté à Saint-George ?

Il y a aussi des emprunts de Beethoven, mais moi, je trouve que ceux de Mozart sont quand même beaucoup plus prégnants.

Qu'est-ce que l'on sait des relations de Mozart avec le chevalier de Saint-George ? Est-ce qu'ils se sont croisés ? Ils vivaient à la même époque. Mozart s'est rendu à plusieurs reprises à Paris, où ils auraient pu logiquement se rencontrer

Dans le courrier abondant de Mozart à son père. Il n'y a pas un mot sur Saint-George. Mozart a la dent dure pour énormément de compositeurs français. Il se plaint beaucoup de ne pas avoir d'argent dans ses courriers à son père. Il se plaint d'être maltraité. Et c'est vrai, par exemple, que lorsqu'il veut créer sa symphonie parisienne à l'orchestre du Concert spirituel. Le directeur du Concert spirituel, Joseph Le Gros, ne peut pas la lui faire jouer parce qu'il a perdu la partition. Vous imaginez, Mozart qui se prenait à juste titre pour le génie du monde, arriver et qu'un modeste directeur de salle ait perdu sa partition ! Il a été effectivement très humilié. Pendant ce temps-là, il y avait un autre musicien qui roulait en carrosse, qui vivait sous les dorures, qui avait un public énorme. C'était Saint-George. Alors son père lui enjoint d'aller jouer au Concert des amateurs, dont le directeur était Saint-George. Et Mozart ne lui répond pas. Quand on lit les échanges de courriers de Mozart à son père, aucune lettre du père ne restait sans réponse du fils. Les seuls que moi je vois sans réponse, c'est quand il lui demande d'aller jouer pour Saint-George.

Il y a peut-être un deuxième épisode au cours duquel ils auraient pu se rencontrer. Il faut savoir que le grand génie musical de l'époque, aux yeux du public, c'était Haydn en Europe. Et on sait que Saint-George est allé à Vienne pour commander à Haydn les symphonies parisiennes qui devaient être jouées pour Marie-Antoinette. Avec mon association, nous avons retrouvé à Vienne des partitions de Saint-George qui ne pouvaient être venues qu'avec lui. Donc Saint-George séjourne quand même quelques semaines -le voyage était long à l'époque- voire quelques mois au moment où Mozart met la dernière main aux quatuors pour Haydn qu'il a écrit. Et donc on peut supposer que si Saint-George est resté quelques semaines avec Haydn, immanquablement, il a vu Mozart. Et ce d'autant plus que Saint-George est un franc-maçon haut gradé en France et que Mozart venait d'être initié en maçonnerie. Et donc il me parait très plausible que cette fois, ils ne se sont pas vus en concurrents et ne se sont pas évités, mais qu'ils se sont vus en francs-maçons. D'autant que très vraisemblablement, le vénérable maître de la loge d'Haydn était un Noir.

Est-ce qu'en cette fin de XVIIIᵉ siècle, l'œuvre du chevalier de Saint-George, était jouée ailleurs qu'au royaume de France ?

Oui, bien sûr. On voit ses partitions à Bologne donc elles ont été jouées à Bologne en Italie. Et nous qui croyions jusqu'à présent qu'il n'avait pas écrit d'œuvres religieuses, on s'est trompé, puisqu'un membre de notre association dénommé Ronan Bellec a retrouvé à Wiesbaden un Laudato Dominum écrit par Saint-George. Donc en Allemagne, Il a écrit et dirigé à Wiesbaden une œuvre religieuse.

À Londres, il a également été joué, car on retrouve une partition de Saint-George. Sur place, il va passer plus de temps à gagner sa vie l'épée à la main qu'à jouer de la musique. Mais en tout cas, on a cette preuve grâce à cette partition écrite de sa main qu'on retrouve à Londres.

Retrouvez Alain Guédé dans les six épisodes de Zistoir consacrés au chevalier de Saint-George et en particulier le quatrième qui porte sur sa musique.  

Et consultez ci-dessous, les articles qui accompagnent chacun des épisodes. 

Episode 1 : Comment le chevalier de Saint-George, né esclave en Guadeloupe, est devenu une star au 18e siècle ?

Episode 2 : Meilleur escrimeur de son temps, le chevalier de Saint-George aurait gagné aux jeux olympiques s’il avait vécu aujourd’hui

Episode 3 : Marie-Antoinette voulait celui qu’on appelle le "Mozart noir", pourquoi Saint-George n’a-t-il pas été directeur de l’Académie royale de musique?

Episode 4 : "Pendant que Mozart était humilié, le chevalier de Saint-George, né esclave en Guadeloupe, avait un public énorme" raconte Alain Guédé

Episode 5 : Pourquoi le chevalier de Saint-George était en prison lors de la première abolition de l’esclavage pendant la Révolution ?

Episode 6 : Pourquoi le chevalier de Saint-George est-il  "un formidable personnage de roman" selon Laurent Joffrin ?