"Je suis un prisonnier politique", c'est ce qu'affirmait Christian Tein, porte-parole de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), depuis sa cellule de la prison de Mulhouse-Lutterbach, dans l'Hexagone, où il est à l'isolement depuis le 23 juin.
Ses détracteurs le qualifient à l'inverse de "terroriste" : lui et une dizaine d'autres membres de la CCAT, organisation indépendantiste kanak, sont soupçonnés par la justice d'avoir commandité les émeutes qui secouent la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai.
Alors que son avocat a demandé à ce que le procureur de Nouméa soit dessaisi du dossier et que celui-ci soit instruit dans l'Hexagone de façon plus sereine, cette nomination peut-elle avoir un poids face à la justice ?
Pas de mandat électoral
Non, selon Géraldine Giraudeau. Cette professeure de droit public à l'université de Paris-Saclay a enseigné notamment en Nouvelle-Calédonie et a rédigé des ouvrages sur les Outre-mer et le Pacifique.
"On confie [à Christian Tein] la représentation politique d'un mouvement mais ce n'est pas un mandat donné par des citoyens dans le cadre d'une élection", souligne-t-elle. Un argument qui va dans le sens de la cheffe de file des Loyalistes Sonia Backès pour qui cette désignation n'est pas légitime, "puisque le FLNKS c'est quatre mouvements politiques, que sur ces quatre mouvements politiques, deux n'ont pas participé à ce congrès et considèrent que ces conclusions ne sont pas valides".
Elle a tenu également à rappeler que "Christian Tein est enfermé parce qu'il est mis en examen sur des chefs d'accusation extrêmement graves, il n'a aucune légitimité".
Parmi les chefs d'accusation formulés : complicité de tentative de meurtre, vol en bande organisée avec arme, participation à une association de malfaiteur en vue de la préparation d’un crime et participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences.
"Dérive autoritaire"
Mais pour William Bourdon, avocat pénaliste qui s'est spécialisé dans la défense des Droits de l'Homme et la lutte contre les crimes économiques, l'affaire est éminemment politique car l'Etat français préfère déplacer le dossier et le cas Tein sur le terrain de la justice et de la criminalité pour ne pas le reconnaître comme prisonnier politique. Car cette reconnaissance reviendrait à "admettre que ce qui est reproché aux personnes poursuivies [dont Christian Tein, ndlr] s'inscrit dans un combat politique, qui n'exige qu'une solution politique".
"En criminalisant, on disqualifie et on justifie une répression très dure, explique-t-il. Cette criminalisation des leaders, de ce leader-là notamment, doit être placée dans la perspective d'une dérive autoritaire d'un certain nombre d'États en Europe, et notamment de l'État français, et d'une crispation par rapport à toutes les paroles dissidentes et militantes qui mettent en cause, parfois brutalement, des politiques qu'ils considèrent comme gravement contraires à l'intérêt général."
"Droits des prévenus non respectés"
Le choix de nommer le porte-parole de la CCAT à la tête du FLNKS est donc "une riposte politique à une décision politique qui permet de considérer que Christian Tein est évidemment un prisonnier politique et de ce point de vue-là, le bannissement en métropole est absolument scandaleux, poursuit le conseil. Imaginez les difficultés, avec le décalage horaire, de parler à ses avocats pour organiser sa défense, c'est tout à fait détestable."
Le transfèrement de Christian Tein à Mulhouse avec d'autres militants de la CCAT le 23 juin dernier avait en effet entraîné "des réactions des professionnels du droit dans l'Hexagone", rappelle Géraldine Giraudeau, pour des questions de droit pur.
Selon le procureur de la République de Nouméa, cette mesure devait "permettre la poursuite des investigations de manière sereine, hors de toute pression ou concertation frauduleuse".
Mais en envoyant les mis en examen à 17.000 km de la Nouvelle-Calédonie, "les droits des prévenus ne sont pas respectés en ce qui concerne l'obligation de maintien des liens familiaux", assure la professeure en droit public, citant l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) et la loi pénitentiaire de 2009.
Amnistie possible ?
Sa nomination à la tête d'un mouvement indépendantiste pourrait donc servir d'argument supplémentaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme, estime Me Bourdon pour qui il faudra avant épuiser tous les recours du droit français.
À moins qu'il y ait à un moment donné "des accords de paix qui mettent fin au conflit" comme c'est arrivé par le passé, temporise l'avocat pénaliste. "Une résolution pacifique" qui déboucherait alors sur "des mesures de grâce ou des mesures d'amnistie".
Si Martial Foucault, titulaire de la Chaire Outre-mer à Sciences Po Paris, s'interroge quant à lui sur le poids de cette nomination face aux instances juridiques internationales, il admet que cela "change nécessairement la donne parce que le gouvernement actuel ne peut pas faire comme si de rien n'était".
Des missions française et internationale en ligne de mire
Le professeur à Sciences Po se demande surtout quelles seront les conclusions de la "mission de médiation et de travail" diligentée par le président de la République avec le chef du FLNKS en prison. Trois hauts fonctionnaires sont en effet chargés de cette mission pour sortir de la crise calédonienne.
"Ne serait-ce que d'un point de vue pratico-pratique, on ne peut pas imaginer qu'il n'y ait pas de rencontre entre le Haut-commissariat de Nouvelle-Calédonie, les hauts fonctionnaires et les différentes factions de ces partis", analyse Martial Foucault. Or l'un d'entre eux est en détention provisoire : quelle est la position à adopter ? Le libérer en le plaçant sous contrôle judiciaire ?
Idem pour la mission d'information du Forum des îles du Pacifique qui aura lieu en octobre pour dresser un état des lieux du Caillou. Les membres de la mission voudront très certainement rencontrer les responsables indépendantistes, que faire si Christian Tein est emprisonné ?
Pour William Bourdon, "imaginer que des responsables publics vont aller en prison le consulter serait une initiative totalement sous-proportionnée par rapport à ce qu'exigent les enjeux". D'un autre côté, si sa participation à des discussions "était refusée au motif qu'il est incarcéré, on pourrait craindre que ce soit un motif de durcissement".
La loyaliste Sonia Backès a en tout cas d'ores et déjà prévenu qu'il "n'est pas question" pour elle de s'asseoir à la table des négociations avec lui en l'état actuel des choses. La sortie de crise semble bien lointaine.