En 2011, elles débarquaient de façon soudaine aux Antilles ; on pensait alors qu'il ne s'agissait que d'une crise passagère. En 2023, elles sont devenues un phénomène récurrent et quasi-permanent sur les côtes caribéennes, américaines et même ouest-africaines. Elles, ce sont les algues sargasses.
Face à leur prolifération toujours plus massive et à leur impact néfaste, notamment sur la biodiversité, la France a décidé de présenter à la COP 28 ce 2 décembre une initiative portée par la région Guadeloupe et les ministères des Outre-mer et des Affaires étrangères.
L'idée est de "coaliser l'ensemble des pays impactés", explique à Outre-mer la 1ère Sylvie Gustave dit Duflo, présidente du conseil d'administration de l'Office français de la biodiversité (OFB) et vice-présidente de la région Guadeloupe chargée de la commission environnement, eau et cadre de vie.
Résolution à l'ONU ?
Pour l'instant, les territoires touchés par ce phénomène tentent en effet de lutter chacun de leur côté, via des politiques publiques ou des mesures privées de prévention, de nettoyage ou de valorisation. L'absence d'action concertée tient principalement du fait qu'il n'existe pas de cadre juridique international.
"Aujourd'hui, est-ce que ces algues sargasses sont devenues envahissantes sous l'impact du changement climatique ? Est-ce que c'est une pollution [issue] de l'agriculture intensive par exemple ou encore de la déforestation amazonienne ? Sur les territoires français, le gouvernement la classe comme un déchet pour que la prise en charge soit faite par les collectivités", liste la Guadeloupéenne, insistant sur la nécessité première de se mettre d'accord sur une définition internationale commune.
Nous cherchons à avoir un cadre juridique. Tant qu'on n'a pas de cadre juridique, l'échouement des algues sargasses n'existe pas au plan international.
Sylvie Gustave dit Duflo
Un des moyens de créer ce cadre est de faire voter une résolution à l'ONU, dont la prochaine assemblée générale aura lieu en septembre 2024.
La valorisation et ses dangers
Une fois le cadre juridique posé, le point suivant sera de "monter une stratégie, une feuille de route pour pouvoir mettre en place des plans d'actions". Cette feuille de route ne pourra se faire sans une participation internationale des scientifiques qui fourniront des données.
Un autre objectif est bien entendu d'améliorer le partage d'expériences et la "coopération sur les bonnes pratiques". Sylvie Gustave dit Duflo donne l'exemple des difficultés à stocker : "Ces algues sargasses constituent de vraies éponges, et [...] elles hyper-concentrent l'arsenic de telle sorte que les zones où l'on a fait de l'épandage pour les faire sécher sont en train d'être contaminées à l'arsenic avec des infiltrations possibles sur les nappes phréatiques."
Sur ce point, il faudra trouver un terrain d'entente car chaque État a des normes sanitaires plus ou moins drastiques, et ce qui est autorisé au Mexique par exemple ne peut l'être aux Antilles françaises.
Mexique, Costa Rica, Saint-Domingue
Le Mexique fait d'ailleurs partie des pays avec lesquels discute la France, ainsi que le Costa Rica et Saint-Domingue. L'Union européenne est également "partie prenante au travers des financements qu'elle peut effectuer dans le cadre de la coopération", ajoute la représentante de l'OFB. Elle espère d'ailleurs rapidement élargir cette initiative à d'autres États, notamment ceux de la Caraïbe de l'Ouest qui "soutiennent à l'unanimité le projet de coopération internationale de lutte contre les algues sargasses".
Pour aboutir à des actions opérationnelles, il faudra nécessairement une part d'investissements. Du côté de la France, le lancement de cette initiative est apparemment financé par le plan national Sargasses II dont le budget total s'élève à près de 36 millions € sur quatre ans. Mais ce plan ne court que jusqu'en 2025. Que se passera-t-il après ?
"Je ne sais pas si on arrivera à mettre fin à cette invasion des algues sargasses, en tout cas il faut y aller, conclut Sylvie Gustave dit Duflo avec une pointe de pessimisme. Quand vous avez des algues qui s'échouent chaque année avec des tonnages de plus en plus importants, la biodiversité n'a plus le temps d'être résiliente. [...] Ces algues sargasses accélèrent la fragilité de nos îles." Car derrière, il en va de la survie des écosystèmes, du littoral et de ses habitants.