Il s'accrochait dur comme fer à son siège. Tellement qu'il s'est fait taxer de "squatteur aux frais de la République" par Mediapart, dans une enquête publiée le 30 janvier. Finalement, il ne sera pas resté longtemps à la tête de son ministère – près de six mois. Philippe Vigier, ministre délégué chargé des Outre-mer depuis le 20 juillet 2023, a été écarté du gouvernement après avoir quitté ses fonctions lors du remaniement ministériel le 11 janvier dernier. Son nom ne figure pas sur la liste complémentaire du gouvernement, annoncée par l'Élysée le 8 février. C'est Marie Guévenoux qui prend sa place rue Oudinot.
Son départ du ministère des Outre-mer n'est pas une surprise. Déjà fin décembre, après le vote dans la douleur de la loi immigration et le début des rumeurs de remaniement, le média Politico révélait que Philippe Vigier, biologiste de formation et ancien maire d'un village du Centre-Val de Loire, était "prêt à bouger" de son ministère, selon une discussion qu'il aurait eue avec François Bayrou, le chef du MoDem. La newsletter politique entendait alors dans les couloirs que l'intéressé n'était "pas à l'aise sur l'Outre-mer". Le ministre avait dûment démenti ces propos.
Mais les envies d'ailleurs de celui qui a fait ses premiers pas au gouvernement il y a seulement six mois n'ont pas été entendues par le chef de l'État et celui du gouvernement. Le député centriste n'ayant reçu aucune assurance de décrocher un autre portefeuille, il s'est battu pour conserver celui des Outre-mer. Mais, honni par les parlementaires ultramarins de l'opposition, Philippe Vigier irritait même jusqu'au sein du camp présidentiel. "Un certain mécontentement se fait ressentir de la part des élus locaux ultramarins, car ils ne se sentent pas véritablement représentés à Paris", confiait une source proche de la majorité présidentielle dans les Outre-mer début janvier, plaidant pour qu'un Ultramarin reprenne la suite du ministre.
L'enquête de Mediapart publiée la semaine dernière a fini de sceller son destin. Selon le média, Philippe Vigier continuait de bénéficier d'un chauffeur, d'un logement de fonction et organisait des dîners privés au ministère alors même qu'il n'était officiellement plus membre du gouvernement. Le Premier ministre Gabriel Attal et le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin ne voulaient depuis plus de lui.
La méthode Vigier
Promu au sein d'un gouvernement pour la première fois de sa carrière politique l'année dernière, Philippe Vigier, alors simple député d'Eure-et-Loir, s'est montré déterminé dès sa prise de fonction. Le 20 juillet, sur le perron de l'Hôtel de Montmorin, il brandissait avec ferveur le livret des 72 mesures du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM) que son prédécesseur Jean-François Carenco avait présenté trois jours plus tôt aux côtés de la Première ministre Elisabeth Borne et de Gérald Darmanin. Ce CIOM allait devenir sa feuille de route.
À 66 ans, cette personnalité d'un style bien différent de celui du très technocrate Jean-François Carenco a tenté de remettre de la politique dans l'Outre-mer. Critiqué pour son manque de légitimité à occuper le poste, le ministre délégué s'est toutefois montré plus à l'aise que son prédécesseur lorsqu'il s'agissait de débattre au Parlement ou dans les médias pour défendre la politique ultramarine du gouvernement.
Pourtant, la majorité des élus parlementaires d'Outre-mer, qui siègent principalement dans les oppositions, sont toujours restés très sceptiques face à ce ministre, qui siège à l'Assemblée nationale depuis 2007.
Quatre mois après le CIOM, Philippe Vigier avait tenu à convier l'ensemble des représentants ultramarins (députés, sénateurs, représentants des maires, chefs des exécutifs régionaux...) pour faire un point d'étape sur la mise en œuvre des mesures. Son objectif était d'alors d'exposer la vertu de la nouvelle méthode Vigier.
Mais celle-ci en a braqué plus d'un. Avant même le rendez-vous, prévu sur deux jours fin novembre, plusieurs présidents de région et de collectivités avaient signé un courrier regrettant l'approche trop "infantilisante" du ministre, qui n'avait pas prévu d'évoquer l'évolution statutaire des Outre-mer, alors même que c'était une demande forte des territoires.
Résultat : si quelques invités ont salué l'avancée des mesures, certains en sont sortis complètement renfrognés. Le président de la Collectivité territoriale de Martinique, Serge Letchimy, a carrément boycotté la réunion. Son collègue de Guyane, Gabriel Serville, et le député Jean-Victor Castor, ont quitté le ministère en colère. Et personne ne s'est vraiment concentré sur les 72 mesures du CIOM, révélant un certain décalage entre l'action du ministre et les attentes des différents territoires.
Philippe Vigier a aussi par moments pu crisper directement la population ultramarine, notamment en Guadeloupe, lorsqu'il a conseillé aux habitants de "faire chauffer de l'eau" pour éviter de tomber malade après le passage de l'ouragan Tammy fin octobre.
Quatre fois en quatre mois à Mayotte
S'il a pu se rendre au moins une fois dans chaque territoire d'Outre-mer (sauf à Wallis et Futuna) et a permis de faire avancer quelques dossiers – lancement d'une initiative internationale contre les sargasses, création d'un hub Antilles, avancée sur le futur mémorial en hommage aux victimes de l'esclavage... –, il n'y a bien que la gestion de la crise de l'eau à Mayotte qui aura marqué le bilan de Philippe Vigier.
En quatre mois, le ministre délégué s'est rendu quatre fois dans le 101ᵉ département français, frappé par une sécheresse historique. Depuis des mois, la population manque cruellement d'eau potable. Pour son premier déplacement début septembre, Philippe Vigier était arrivé avec une enveloppe de 2 millions d'euros pour une station de traitement d'eau. Mi-septembre, il a annoncé l'envoi d'un premier bateau contenant 600 000 litres d'eau à Mayotte, alors que les restrictions venaient de se durcir. Plus tard, le gouvernement a indiqué prendre en charge toutes les factures d'eau des Mahorais et Mahoraises. L'approvisionnement en bouteilles a ensuite été accéléré, puis généralisé à toute la population. Depuis, avec l'arrivée des pluies et le remplissage des retenues collinaires, les tours d'eau vont progressivement s'alléger d'ici quelques semaines. La distribution de bouteilles d'eau devrait s'arrêter au mois de mars.
Sur d'autres sujets, en revanche, le ministre ne s'est pas beaucoup fait entendre : sur l'évolution institutionnelle des Outre-mer, il a toujours remis la question à plus tard, laissant soin au président de gérer cette question ; sur les discussions calédoniennes, c'est son tuteur de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui est à la manœuvre (lui n'a jamais rien dit sur le sujet) ; sur la controversée tour des juges pour les épreuves olympiques de surf à Teahupo'o, Philippe Vigier est resté silencieux ; idem sur le regain de violence à Mayotte, le manque d'enseignants en Guyane ou encore le faible niveau scolaire des élèves ultramarins...
Contrairement à ses prédécesseurs Sébastien Lecornu (ministre des Outre-mer de juillet 2020 à mai 2022, devenu par la suite ministre des Armées) et Yaël Braun-Pivet (éphémère ministre des Outre-mer du 20 mai au 25 juin 2022, élue présidente de l'Assemblée nationale), le passage rue Oudinot de Philippe Vigier ne lui aura pas servi de tremplin politique vers un autre poste. Lui qui se disait "prêt à bouger" du ministère des Outre-mer a vu son souhait exaucé : il sera désormais de retour sur son siège de député à l'Assemblée nationale.