En Guyane, 80% des 982 kilos de drogues saisis en 2022 l'ont été à l'aéroport, avait affirmé le directeur régional des douanes Richard Marie en mai dernier.
Alors, pour enrayer le phénomène des mules, ces passagers qui transportent des stupéfiants dans leurs bagages ou en les ingérant, les forces de l'ordre ont commencé, il y a un an, à contrôler l'intégralité des passagers partant de Guyane à destination de l'Hexagone.
Cette politique du 100% contrôle menée à l'aéroport international de Cayenne Félix-Éboué, unique porte de sortie directe vers l'Hexagone, a permis de "diminuer d'un facteur deux à trois" les saisies à l'arrivée dans la métropole, a indiqué à l'AFP le préfet Antoine Poussier.
Depuis le début de l'opération, les quantités de cocaïne saisies en Guyane sont supérieures aux années précédentes.
Pour le préfet, "cela prouve une pression judiciaire efficace". Entre le 31 octobre 2022 et le 10 novembre 2023, 808 kilos de drogue ont été interceptés et 574 personnes interpellées, selon les chiffres de la préfecture.
Manque à gagner : 50 millions €
Il faut ajouter à cela "les quantités potentielles transportées par les personnes empêchées d'embarquer", poursuit Antoine Poussier. Car, en cas de doute, les forces de l'ordre peuvent interdire l'embarquement à certains passagers sur une durée de plusieurs jours grâce à des arrêtés préfectoraux.
Le moyen de paiement des billets, les intentions de voyage, le comportement, sont autant d'indices pour que "les fonctionnaires de police identifient les personnes sur lesquelles nous avons de fortes présomptions d'implication dans le trafic de drogue", explique Philippe Jos, le directeur territorial de la police nationale.
Le 100% contrôle permet de saisir davantage de cocaïne au départ, mais aussi d'empêcher des personnes de traverser l'Atlantique, sans pour autant procéder à leur interpellation. Seul un faisceau d'indices oriente les policiers qui décident d'appliquer ou non cette mesure.
Environ 10.000 de ces arrêtés ont été pris depuis le 31 octobre 2022, parfois à l'encontre des mêmes personnes qui se présentent à plusieurs reprises. Avec cet outil, le manque à gagner pour les trafiquants se situe "entre 40 et 50 millions d'euros", estime Philippe Jos. Sans compter la drogue saisie à l'arrivée puis lors des enquêtes qui permettent de remonter les filières.
"Dérive de l'autorité"
Mais, en septembre, deux voyageurs ayant fait l'objet de tels arrêtés en ont appelé à Davy Rimane, député de la 2ᵉ circonscription de Guyane, rattaché à la Nupes. "On est dans une dérive de l'autorité préfectorale", dénonce cet élu. Les arrêtés concernant ces deux personnes ont été suspendus par la justice administrative après une action en référé-liberté.
"Nous allons saisir le tribunal sur le fond pour attaquer ces arrêtés qui n'ont aucune base juridique viable", prévient Davy Rimane. L'avocat Patrick Lingibé, qui a obtenu les deux suspensions, affirme qu'il s'agit "d'une attaque à la liberté d'aller et venir". Pour lui, en France hexagonale, ce système entraînerait un tollé, "ça ne passerait pas devant une juridiction au niveau national", assure-t-il.
Le député Davy Rimane dénonce lui un "contrôle au faciès", ce que réfute le préfet. "Les deux grands axes du contrôle sont l'attitude et l'organisation du voyage", rappelle Antoine Poussier, assurant que l'origine des passagers ne fait pas partie de ces axes.
Les mules présumées en liberté
Davy Rimane regrette aussi que les institutions n'aillent pas au bout de leur logique et laissent en liberté les mules présumées, quelle que soit leur nationalité, sur le territoire guyanais, simplement empêchées d'embarquer pour quelques jours.
Selon un rapport sénatorial de 2020, 15% à 20% de la cocaïne arrivant dans l'Hexagone transiterait par la Guyane. Les dispositifs des passeurs évoluent constamment pour s'adapter aux contrôles.
"On ne prétend pas que ce contrôle va éradiquer le trafic de cocaïne, on essaie d'empêcher ce mode de transport par des particuliers", résume le préfet.