Trois jours après la prise d’otage à la prison de Majicavo à Mayotte, la stupéfaction et la sidération règnent toujours dans les rangs des agents pénitentiaires. Samedi 28 septembre vers 15h, un groupe de prisonniers a attaqué et pris en otage quatre gardiens.
"Le centre pénitentiaire de Majicavo, c’est un établissement qui avoisine 250 % de population carcérale, c’est un cocktail explosif. Quand vous ouvrez une porte de cellule et que vous êtes face à six détenus, ce n’est pas gérable", dénonce Cédric Boyer, agent pénitentiaire à la Réunion et membre du syndicat FO Pénitentiaire.
Dans le 101ᵉ département français, certaines cellules accueillent six détenus alors qu’elles ne devraient héberger qu’un seul. "À Majicavo, le niveau de surpopulation carcérale, il est démentiel, on est à 245 % de taux de surpopulation. Nous sommes à des niveaux de surpopulation qui créent des conditions d’accès et d’incarcération qui relèvent de la maltraitance des personnes détenues et cela peut induire une situation de détresse et de désespoir qui peut être extrême", alerte Jean-Claude Mas, directeur de l’Observatoire international des prisons.
Selon les chiffres donnés par le journal quotidien Le Monde dans un article sur la prison de Mayotte, cette dernière aurait une capacité de 278 places. Pourtant, 636 personnes y sont incarcérées. Une situation qui place la prison dans un état critique selon Cédric Boyer. "C’est un établissement qui a des problèmes structurels et cette surpopulation génère des tensions et on arrive aux évènements de samedi".
Un avis partagé par Jean-Claude Mas. "On est entre 200 et 300 personnes qui dorment sur des matelas à même le sol. Donc comment s’étonner, dans ces conditions de maltraitances caractérisées, que ces personnes détenues ne soient pas à bout ?", s’interroge le directeur de l’OIP.
"Il faut repenser la politique pénale"
La surpopulation carcérale est un mal qui touche plusieurs prisons dans l’Hexagone et dans les Outre-mer. Mais la prison de Mayotte fait partie de celle où la situation est la plus alarmante.
Certains acteurs militent pour un transfert des détenus et notamment des meneurs de cette mutinerie vers l’Hexagone. C'est le cas de Cédric Boyer. "Aujourd’hui, on exige le transfert des meneurs qui ont participé à ce mouvement et en plus de ça, on demande aussi une fouille générale de l’établissement."
Mais cette solution d'envoyer les détenus vers l'Hexagone n’est pas la plus adaptée, dixit Jean-Claude Mas, car cela reviendrait à déplacer le problème vers d’autres prisons déjà surpeuplées ou en passe de le devenir.
Pour le directeur de l’Observatoire international des prisons, il faudrait développer des solutions alternatives. "L’enjeu est de travailler sur l’échelle des peines et le développement de peines alternatives à l’incarcération, déclare-t-il. Il faut repenser la politique pénale."
Une seconde prison pour soigner les maux
À Mayotte, la construction d’une seconde prison fait partie des priorités et est attendue. En visite dans l'archipel en mars 2022, Eric Dupond-Moretti alors ministre de la Justice avait promis qu’elle serait construite assez rapidement et l'avait à nouveau confirmé en janvier 2024 lors d'une séance publique à l'Assemblée nationale en répondant à une question de la députée mahoraise Estelle Youssouffa. "Nous en avons sécurisé le financement de plusieurs centaines de millions d'euros, des recherches foncières préliminaires ont été conduites en mars 2023 et des sites potentiels ont été identifiés", répondait-il alors.
Mais pour l’heure, le projet n’est pas encore sorti de terre. "Il faut que l’administration s’active, car ça permettrait de lutter contre la surpopulation carcérale", souffle Cédric Boyer. Ce projet de seconde prison est aussi appelé de ces vœux par Estelle Youssouffa : l'élue l'a écrit sur X dans un message de remerciements aux forces de l'ordre intervenues lors de la mutinerie dans la prison de Majicavo. "[...] Il faut une 2e #prison!" peut-on lire.
Mais Jean-Claude Mas pense au contraire qu’une nouvelle prison ne réglerait rien au problème déjà établi. "Plusieurs études montrent que plus on construit des prisons, plus on enferme les gens. On est sur une surenchère permanente punitive et donc construire une nouvelle prison à Mayotte, ce n’est pas la solution."
En attendant de trouver une solution viable pour lutter contre la surpopulation et éviter que des évènements comme ceux de samedi ne se reproduisent à Mayotte, neuf agents pénitentiaires de l’Hexagone et sept de La Réunion sont envoyés sur l’île.
De plus, deux psychologues de La Réunion ainsi que Murielle Guégan, directrice des services pénitentiaires des Outre-mer, sont aussi attendus sur place.