Outre-mer, le surpoids et l’obésité sont amplifiés en raison de nombreux facteurs qui pèsent de plus en plus sur la santé de ces populations. Caroline Méjean, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), avance plusieurs hypothèses pour expliquer cette différence. "Les populations les plus défavorisées sont les plus touchées par les pathologies nutritionnelles et chacun sait que dans les Outre-mer, la précarité est beaucoup plus élevée que dans l’Hexagone. Il y a également d’autres facteurs comme l’accès plus limité aux soins, l’alimentation plus chère ou encore la sédentarité."
Toujours trop de sucre
Les produits alimentaires industriels vendus dans les grandes surfaces ont également une part non négligeable dans la hausse du surpoids et de l’obésité Outre-mer. "Ces produits industriels sont ultra-transformés, ils sont fabriqués à partir de produits chimiques, ils ne sont pas reconnus par notre organisme et sont pourvoyeurs d’obésité, de diabète, de maladies cardiovasculaires ou encore de cancer", explique Annick Fontbonne, épidémiologiste à l'Inserm et présidente du Conseil scientifique de la ligue nationale contre l’obésité.
Ces produits industriels, souvent trop gras et trop salés, contiennent également beaucoup de sucre. Et Outre-mer plus qu’ailleurs. En Polynésie, par exemple, le même soda vendu dans l’Hexagone contient le double de sucre. 13 g pour 100 ml en Polynésie, 6,6 g dans l’Hexagone. À Paris, à Bordeaux ou à Marseille, un yaourt au sucre de canne contient 10,8 g de sucre pour 100 g. À La Réunion, le même produit affiche 13 % de sucre en plus.
"Il faut contraindre les industriels"
Pourtant, depuis plus de 10 ans, la loi Lurel "visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en Outre-mer" est censée être un garde-fou pour le consommateur. Elle prévoit que "les aliments distribués dans les régions et collectivités Outre-mer ne peuvent avoir une teneur en sucre ajouté supérieure à celle d’une denrée de la même marque, distribuée en France hexagonale".
Cette loi s’applique depuis le 1er janvier 2014 en Guyane, Guadeloupe, La Réunion, Mayotte ainsi qu’à Saint-Barthélémy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon et intègre en plus un alignement sur l’Hexagone des dates limites de consommation. La Polynésie, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna ayant des compétences propres ne sont pas obligés d’appliquer ces mesures.
Depuis sa première élection en 2017, Loïc Prud’homme, député LFI-Nouveau Front Populaire de Gironde, fait de la malbouffe son combat. Lorsqu’on l’interroge sur l’efficacité de la loi, il est catégorique : "Cette loi n’est pas appliquée". Le parlementaire a alerté à plusieurs reprises le gouvernement. Dans une lettre ouverte adressée au mois de février dernier à Catherine Vautrin, alors ministre de la Santé et du Travail, plusieurs députés ultramarins s'inquiétaient du fort taux de sucre des aliments exportés vers les départements d'Outre-mer et demandaient notamment au gouvernement l'inclusion d'un volet Outre-mer dans la déclinaison de la future Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat.
Jusqu’ici, le gouvernement s'appuie sur l'enquête de la DGCCRF, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, rendue en 2021 qui conclut au respect et à la bonne connaissance de la loi Lurel par les professionnels. Un rapport que ces députés contestent. Ils indiquent que l’étude s’est uniquement concentrée sur les taux de sucres de 50 références de produits et principalement sur la gamme des boissons rafraîchissantes sans alcool.
Pour le député de la Gironde, les responsables sont les industriels. "Les intérêts économiques de l’industrie agroalimentaire qui pèse beaucoup en termes de chiffres d’affaires font plier les gouvernements successifs et jusqu’à présent, nous n’avons pas eu un gouvernement suffisamment courageux pour affronter ce lobby de l’agroalimentaire pour lui dire ça suffit maintenant, on vous pose un cadre sérieux légal, vos histoires de marges, de profit ou de chiffre d’affaires, ça passe au second plan. Il faut les contraindre", ajoute-t-il.
Le CLCV, Association nationale de défense des consommateurs et usagers, veut aller encore plus loin. Il faut non seulement appliquer la loi Lurel, mais organiser également des contrôles stricts et rigoureux. "En cas de manquements, il faut des sanctions fortes qui vont dissuader les industriels de ne pas respecter la règlementation et enfin, il faut rendre le Nutri-Score obligatoire afin de permettre aux consommateurs de savoir ce qu’ils achètent et de comparer les produits entre eux, notamment par rapport à la qualité nutritionnelle".
Après Bjorg ou encore Krisprolls, le groupe Danone, que nous avons contacté sans succès, a, lui aussi, décidé de retirer l'indicateur nutritionnel de ces produits. L’annonce d'une modification prochaine du Nutri-Score, entraînant une dégradation de la note de ces produits, en serait la cause.
"Chacun doit se prendre en main"
Si la lutte contre l’obésité est devenue un enjeu de santé publique, elle est aussi la responsabilité de chacun. C’est le message que veut transmettre aujourd’hui l’ancienne reine de beauté Vaimalama Chaves. En Polynésie, d’où elle est originaire, 70 % de la population est en surpoids dont 40 % au stade de l’obésité. C’est l’un des taux parmi les plus élevés au monde.
Il y a quelques années, Vaimalama Chaves pesait 80 kg avant d’en perdre 20 et d'être élue quelques années plus tard Miss Tahiti puis Miss France. "Je voulais me plaire et perdre du poids. J’ai fait attention à ma ligne et je me suis prise en main. J’ai commencé à diminuer l’alimentation, les biscuits, les pâtes à tartiner, les confitures ou les bonbons pour manger des choses plus saines, plus équilibrées", indique-t-elle avant de se lancer dans une forme de message plus solennel : "Chacun doit se prendre en main. Faites ce que vous voulez, mais faites-le".
Dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), plus de 1.500 amendements ont été déposés par les députés. Ces propositions visent à alourdir la taxe déjà existante sur les boissons sucrées. Une taxe sur la publicité pour ces produits a également été suggérée par les députés sur le principe que plus une boisson est sucrée, plus la taxe serait élevée.