C'était une des annonces de Michel Barnier lors de son discours de politique générale du 1ᵉʳ octobre : "Je suis en mesure d'annoncer, en accord avec le président de la République, la décision de reporter les élections provinciales [en Nouvelle-Calédonie] jusqu'à fin 2025". Une vingtaine de jours plus tard, la chambre haute du Parlement a officiellement donné son feu vert au report du renouvellement du Congrès calédonien et des assemblées de province.
Mercredi 23 octobre, avec 324 voix pour et 19 abstentions, les sénateurs ont très largement soutenu la proposition de loi déposée par l'élu socialiste du Nord, Patrick Kanner, à l'issue d'un débat qui a clairement démontré le consensus sur la question entre toutes les forces politiques du Sénat.
Il faut dire que le temps était compté : prévues initialement au mois de mai, les élections provinciales avaient été reportées une première fois en début d'année et devaient se tenir d'ici au 15 décembre. En parallèle, l'exécutif avait présenté un projet de loi constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral calédonien avant l'organisation de ce scrutin local. Mais l'examen de ce texte au Parlement a mis le feu au Caillou. Depuis le 13 mai, le territoire est plongé dans un marasme économique, social et politique inédit.
Organiser une élection si cruciale dans un contexte aussi tendu relevait donc de l'impossible. Et ça, tout le monde l'a compris : non-indépendantistes, indépendantistes, mais aussi toutes les forces politiques nationales. L'annonce du report des élections provinciales par le Premier ministre avait donc fait consensus. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie a donné son accord mardi. Le vote de cette loi est de ce fait logique.
Un "préalable au chemin vers l'apaisement"
Pour ne pas perdre de temps, le gouvernement a saisi la proposition de loi écrite par le groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) déposée au Sénat avant même le discours de politique générale de Michel Barnier. La gauche parlementaire, et les socialistes plus particulièrement, demandent depuis le début des débats sur la situation calédonienne de "laisser du temps au temps". Déjà lors du premier report, ils réclamaient à ce que la date butoir soit fixée à fin 2025, et non en décembre 2024. Car ils estiment que reculer le plus possible la date du scrutin doit permettre aux parties prenantes de trouver un accord global. "Tout le monde a intérêt à ce qu'on sorte par le haut de ce dossier", disait le chef de file des sénateurs socialistes et auteur du texte Patrick Kanner en début d'après-midi, mercredi.
Le texte avait largement été adopté lors de son examen en commission des Lois la semaine dernière. Lors de son examen en séance publique, la rapporteure Corinne Narassiguin (Seine-Saint-Denis, SER) a répété qu'"il faut donner le plus de temps possible" pour permettre de trouver un "consensus politique" à même de faire progresser le territoire. "Le report est un préalable au chemin vers l'apaisement."
Que ce soit à gauche, au centre, ou à droite, les groupes politiques ont apporté leur soutien à cette initiative parlementaire. Philippe Bas, rapporteur Les Républicains (LR) du texte, a estimé que "les conditions sont aujourd'hui réunies" pour permettre à la Nouvelle-Calédonie d'avancer. Voter cette proposition de loi va dans le bon sens.
L'approche du président critiquée
Les débats au Sénat ont été l'occasion pour les parlementaires de tacler l'approche jugée partiale de l'exécutif, et d'Emmanuel Macron en particulier, dans le dossier calédonien. Le chef de l'État est accusé d'avoir attisé les tensions en montrant son inclinaison vers le camp des non-indépendantistes. Mais la dissolution du mois de juin et la déroute du pouvoir en place lors des élections législatives ont rebattu les cartes. L'arrivée de Michel Barnier, apprécié pour ses talents de négociateur, à Matignon est vue d'un bon œil par l'ensemble des politiques concernant l'évolution du sujet calédonien.
Le ministre chargé des Outre-mer, François-Noël Buffet, qui revient tout juste de son premier déplacement en Nouvelle-Calédonie en tant que membre du gouvernement, a défendu l'approche apaisée voulue par le nouveau gouvernement. Il a, sans surprise, apporté son soutien au texte socialiste, mercredi, dans la lignée des travaux parlementaires qu'il avait effectué lorsqu'il était président de la commission des Lois du Sénat : ne pas précipiter les choses. Ce que semble vouloir faire le Premier ministre, lui aussi très impliqué sur le dossier.
Selon François-Noël Buffet, le report des élections provinciales calédoniennes est une nécessité pour apaiser le climat, reconstruire l'économie du territoire (15 % de PIB perdu, 6000 salariés en moins, des milliards d'euros de dégâts depuis le mois de mai) et, in fine, renouer le dialogue pour trouver un accord global, incluant la question si sensible du corps électoral.
Date butoir
"Nous pouvons commencer à aborder une nouvelle période pour la Nouvelle-Calédonie", a estimé le ministre des Outre-mer devant les sénateurs, mercredi. Une nouvelle page semble en effet s'être ouverte, impliquant l'ensemble des institutions de l'État : le président lui-même, qui doit recevoir les représentants calédoniens au mois de novembre, le Premier ministre, qui compte s'inscrire dans les pas de Michel Rocard et de Lionel Jospin, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, ainsi que le président du Sénat, Gérard Larcher. Ces deux derniers s'envoleront pour Nouméa du 9 au 14 novembre pour y mener une mission de concertation et de dialogue.
Le seul point de désaccord qui est ressorti du Sénat est la date butoir fixée par la nouvelle loi. Le sénateur indépendantiste kanak Robert Xowie a déposé un amendement pour transformer le 30 novembre 2025 en 30 mai 2025, estimant qu'il en allait de "la bonne santé de la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie", alors que les élus provinciaux siègent depuis mai 2019. La Nouvelle-Calédonie a besoin de renouveler au plus vite ses représentants pour dessiner le futur du territoire, estime-t-il.
Son collègue non-indépendantiste Georges Naturel (LR) a, lui aussi, appelé à organiser le scrutin au premier semestre de l'année prochaine, plutôt qu'à la fin, pour que la campagne ne soit pas parasitée par les élections municipales de 2026. Mais sans appeler à renoncer à la date butoir de novembre 2025 (limite fixée par le Conseil d'État pour organiser de nouvelles élections en Nouvelle-Calédonie). Les sénateurs n'ont pas adopté l'amendement de l'indépendantiste, qui s'est abstenu, avec son groupe, lors du vote final du texte.
La proposition de loi doit désormais être votée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale pour être définitivement adoptée. Les députés ont jusqu'au 17 novembre pour se pencher sur le texte : passé cette date, le gouvernement sera légalement contraint de convoquer les électeurs calédoniens pour renouveler le Congrès et les assemblées de province avant le 15 décembre.