Les députés ultramarins déçus après le discours de politique générale de Michel Barnier

Le Premier ministre Michel Barnier lors de son discours de politique générale, le 1er octobre 2024, à l'Assemblée nationale.
Mardi 1ᵉʳ octobre, le Premier ministre a présenté sa feuille de route politique. S'il a fait des annonces concernant la Nouvelle-Calédonie, Michel Barnier ne s'est pas épanché sur sa vision pour les territoires d'Outre-mer, pourtant en proie à de nombreuses crises. À l’issue de son discours de politique générale, de nombreux députés ultramarins ont fait savoir leur déception.

"Trop à droite", "à côté de la plaque", "navrant"… Les députés ultramarins croisés dans la salle des Quatre-Colonnes à l’Assemblée nationale n'ont pas de mots assez durs contre le gouvernement de Michel Barnier. Ballotés de ministre en ministre depuis 2022, les parlementaires d’Outre-mer n’ont clairement pas été convaincus par le grand oral du nouveau Premier ministre, qui présentait sa feuille de route politique pour les prochains mois, voire les prochaines années, mardi 1er octobre devant la représentation nationale.

La députée réunionnaise Karine Lebon (Gauche démocrate et républicaine, GDR) n’y va pas par quatre chemins lorsqu’on lui demande si elle est déçue du discours de politique générale de Michel Barnier : "Pour être déçue, il aurait fallu s’attendre à quelque chose". Le ton est donné. Comme elle, nombre de ses collègues sont amers.

Déjà, la nouvelle équipe ministérielle est vivement critiquée par les élus de gauche, qui siègent entre les groupes GDR, La France insoumise et le Parti socialiste au sein de l’hémicycle, pour son inclinaison à droite toute. "Monsieur Barnier a très clairement constitué un gouvernement de droite, voire de droite extrême, si ce n’est en chatouillant l’extrême-droite", accuse Béatrice Bellay, députée de Martinique et porte-parole du groupe PS, qui pointe la présence de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, au sein du gouvernement alors que celui-ci a estimé dans le passé que la colonisation avait eu du bon.

"Du sang et des larmes"

L’élue de Fort-de-France voulait du concret de la part de Michel Barnier. Qu’il apporte des solutions aux problèmes des Ultramarins, et plus particulièrement à ses concitoyens de Martinique, qui manifestent depuis un mois contre la vie chère. Or, le chef du gouvernement a simplement reconnu qu’il faut "lutter rapidement contre la vie chère qui frappe nos compatriotes", sans s'étaler sur comment le faire. "Actions contre la vie chère, ça veut dire quoi ?", demande Béatrice Bellay. Michel Barnier a annoncé qu’un nouveau comité interministériel des Outre-mer (CIOM) serait organisé au premier trimestre 2025, pour résoudre, entre autres, cette question de la cherté de la vie. "C’est trop loin", se désole Jiovanny William (GDR), lui aussi élu de Martinique.

La députée de Martinique Béatrice Bellay, le 10 juillet 2024, à l'Assemblée nationale.

"Il n’y a rien de transcendant, rien de nouveau. Le fond reste le même", analyse Davy Rimane, représentant de la Guyane, qui siège lui aussi dans le groupe de gauche GDR. L’ancien président de la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale se lasse de voir défiler les ministres avec les mêmes discours, les mêmes méthodes, et, in fine, les mêmes résultats. "Ça fait des décennies qu’on raconte la même chose ! (…) Si l’État ne peut pas [nous aider], qu’il le dise, et nous prendrons nos dispositions."

Les députés ultramarins, qui doivent désormais renouer avec un nouveau ministre des Outre-mer en la personne de François-Noël Buffet, s’inquiètent par ailleurs de la baisse annoncée du budget de la mission Outre-mer l’année prochaine, alors que Michel Barnier a fait du redressement économique du pays sa priorité. "Nous ne pouvons pas, nous, Ultramarins, payer aujourd’hui le redressement budgétaire", déplore Philippe Naillet, député PS de La Réunion. "On promet du sang et des larmes pour ceux qui sont déjà en difficulté."

Là, je m’affole. Quand on voit la situation dans mon pays, on a l’impression que le gouvernement n’a aucune conscience de la gravité de la situation.

Marcellin Nadeau, député GDR de Martinique


Déception à droite aussi

Pendant près d'une heure et quart de discours, il n’y a que la Nouvelle-Calédonie qui a eu droit à une attention particulière du Premier ministre. Le territoire, qui s’enfonce dans la crise politique, économique et sociale depuis le mois de mai, connaît une période trouble. Pour y remédier, Michel Barnier proposera de repousser les élections provinciales, qui devaient se tenir d'ici au 15 décembre 2024, à fin 2025, et a aussi précisé que le projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral calédonien ne serait pas présenté devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles pour laisser le temps aux discussions entre État, indépendantistes et non-indépendantistes de reprendre.

Une mesure saluée par la gauche parlementaire, qui accuse le pouvoir d’attiser les tensions localement en favorisant le camp non-indépendantiste. Mais une annonce qui a fait sursauter le loyaliste Nicolas Metzdorf, député Renaissance de Nouvelle-Calédonie. L’élu, furibond, est même sorti de l’hémicycle avant la fin du discours de Michel Barnier. "Le Premier ministre est passé à côté des priorités des Calédoniens. Il n’a fait aucune annonce financière. On a perdu 25 points de PIB depuis quatre mois. On a perdu 25 000 personnes. On a un taux de chômage à 50 %... Il ne dit rien", dit-il agacé dans la cour de l’Assemblée nationale.

Le député de Nouvelle-Calédonie Nicolas Metzdorf.

Pour lui, le Premier ministre a dépassé ses prérogatives de chef de gouvernement en annonçant que la réforme sur le dégel du corps électoral ne serait pas présentée au Congrès. "C’est la compétence du président de la République", rage ce grand défenseur de l'élargissement du corps électoral. "Je lui avais dit [à Michel Barnier, NDLR] qu’il fallait faire des annonces sur l’économie, et reprendre l’institutionnel plus tard. Il ne nous a pas écoutés." Le Calédonien ne s’interdit pas de voter la motion de censure contre le gouvernement de la gauche.

La députée de Mayotte Estelle Youssouffa aussi est ressortie du discours de politique générale passablement déçue. Alors que la Nouvelle-Calédonie et Mayotte étaient la priorité Outre-mer du gouvernement précédent, mardi après-midi, Michel Barnier n’a pas prononcé les mots "Mayotte", ni "droit du sol", chers à l’élue Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT). "Je comprends que le Premier ministre s’attarde sur la crise en Nouvelle-Calédonie (…), mais effectivement, je ne peux pas cacher que je suis très déçue de ne pas avoir entendu un mot sur Mayotte", alors que le 101ème département français est le plus pauvre du pays et qu’il subit crises sur crises depuis des années.

La députée a donc pris les devants en déposant elle-même deux propositions de loi pour son territoire : une première visant à abroger le droit du sol sur place, un chantier entamé par Gérald Darmanin mais remisé par la dissolution de l'Assemblée en juin, et une deuxième, dite "Loi Mayotte", pour améliorer la situation de l’archipel et de ses habitants.

Le Premier ministre vient d’expliquer qu’il donnerait plus de place au travail parlementaire, et qu’il voulait travailler en co-construction, avec une nouvelle méthode, en laissant plus de place aux propositions de loi. Je dis chiche, Monsieur le Premier ministre. Vous avez la proposition de loi Mayotte, allons-y, travaillons.

Estelle Youssouffa, députée LIOT de Mayotte

Les relations entre les élus d’Outre-mer et le nouveau gouvernement s’annoncent houleuses alors que la nouvelle législature commence à peine. Michel Barnier devra bientôt affronter sa première motion de censure. Si son gouvernement survit, il devra se lancer dans la bataille du budget, qu’il faudra faire voter avant la fin de l’année. Puis les grands chantiers seront lancés. L’exécutif devra éteindre le feu qui couve un peu partout en Outre-mer. "Il est grand temps de cesser de recevoir des promesses vides et de passer à l’action, réclame le député PS de Guadeloupe, Christian Baptiste. Notre peuple exige des actes, pas seulement des mots."