Territoriales 2023 : trois questions pour comprendre les élections locales en Polynésie

Assemblée de Polynésie
Dimanches 16 et 30 avril, les Polynésiens sont appelés à renouveler leur Assemblée pour les cinq prochaines années. Une fois élus, les représentants de cette collectivité d'Outre-mer désigneront le prochain président du "Pays", qui dirige l'action du gouvernement local et promulgue les lois. Outre-mer La 1ère fait le point sur les enjeux de ce scrutin.

Qui a dit que le quinquennat n'était réservé qu'à Emmanuel Macron et aux députés de l'Assemblée nationale ? À 15.000 km de Paris, au cœur de l'océan Pacifique, plus de 200.000 électeurs polynésiens, éparpillés entre les Marquises et l'archipel des Australes, sont appelés à élire leurs représentants dimanche 16 et 30 avril, afin de renouveler l'Assemblée locale. Avec la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française est le seul territoire ultramarin à posséder son propre Parlement, son gouvernement et son président.

Depuis 1984, le fenua (le "Pays" en tahitien) dispose d'une vaste liberté en termes de compétences, qui se sont élargies en 1996 et en 2004. Aujourd'hui, l'exécutif local gère l'économie, la santé, l'éducation, la culture, le logement, le tourisme... L'État (à Paris) occupe, lui, principalement des fonctions régaliennes.

Comme les députés du Palais Bourbon à Paris, les représentants de l'Assemblée de Polynésie française votent les lois et le budget et peuvent renverser l'exécutif. Mais les élus siégeant à Papeete, la capitale de Tahiti, ont également un autre pouvoir, et pas des moindres : c'est à eux d'élire le président de la Polynésie.

Édouard Fritch, l'actuel président, est à la tête de l'archipel depuis 2014 (il a d'abord fait un premier mandat incomplet, puis a été réélu en 2018). Pris en tenaille entre les indépendantistes et les autonomistes anti-Fritch, il brigue un troisième mandat (ou deuxième mandat complet) dans un environnement politique complètement éclaté. Outre-mer La 1ère décrypte ces territoriales polynésiennes, on ne peut plus incertaines.

  • Comment va s'organiser le scrutin ?

Les dimanches 16 et 30 avril, 209.000 électeurs sont appelés à désigner les 57 représentants de l'Assemblée. Une fois élus, ces Polynésiens et Polynésiennes siègeront pendant cinq ans.

En Polynésie, le scrutin territorial se fait au suffrage universel direct. Les électeurs sont appelés à choisir parmi sept listes-candidates. Celles-ci sont identiques sur l'ensemble du territoire, qu'on se trouve à Tahiti, à Hiva Oa ou à Huahine. En revanche, les candidats sont répartis selon des "sections", au nombre de huit. Sur chaque liste soumise aux électeurs, chaque parti doit alterner les noms de femmes et d'hommes pour assurer la parité.

Elections Territoriales 2023 : carte sections Polynésie


Depuis les élections de 2013, la liste qui obtient le plus de votes bénéficie d'une prime à la majorité de 19 sièges (un tiers de l'Assemblée), mise en place pour assurer la stabilité des institutions politiques. Les deux tiers restants sont répartis à la proportionnelle.

  • Quel est l'état de l'Assemblée sortante ?

En Polynésie, ce sont souvent les couleurs qui indiquent l'appartenance à une famille politique. Le rouge est la couleur des autonomistes (du parti Tapura huiraatira). Et le bleu représente les indépendantistes (du Tavini huiraatira).

Territoriales 2023 : L'entretien


Il existe également un parti politique orange, le Amuitahiraa o te nuna'a Maohi, mouvement gaulliste et autonomiste créé par Gaston Flosse, un proche de Jacques Chirac. Classé comme conservateur, le Amuitahiraa est en perte de souffle depuis plusieurs années et a perdu le monopole de l'autonomisme.

L'Assemblée sortante est donc (très) rouge. Mais, au soir du 30 avril, elle pourrait très bien virer au bleu. Car à Tahiti, le débat public tourne essentiellement autour du clivage autonomisme / indépendantisme. Le statut de la Polynésie reste la préoccupation majeure des citoyens (ou du moins des acteurs politiques polynésiens).

D'un côté, les autonomistes sont plus ou moins satisfaits du statu quo et n'imaginent pas l'avenir de leur territoire ailleurs que dans la République française (mais ils restent néanmoins attachés à une certaine liberté en termes de compétences, d'où l'appellation d'"autonomistes").

Le Tapura huiraatira, créé par l'actuel président polynésien Édouard Fritch, est devenu le porte-voix de cette branche politique. Né d'une scission d'avec le parti de Gaston Flosse en 2016, la "Liste du peuple" (en français) détient aujourd'hui 35 sièges sur 57 à l'Assemblée de Polynésie (soit plus de 60 % des élus).

Les 57 représentants de l'Assemblée de Polynésie française en mai 2021.


De l'autre côté de l'échiquier politique, on retrouve les indépendantistes du Tavini huiraatira ("Servir le peuple"). Avec seulement 10 représentants dans l'Assemblée sortante, le camp d'Oscar Temaru, figure de l'indépendantisme polynésien, n'a pu avoir qu'un rôle d'opposition limité ces cinq dernières années. Mais le Tavini compte bien reprendre le pouvoir, après déjà plusieurs passages express de Temaru à la présidence de la Polynésie entre 2004 et 2013, qui lui ont notamment permis d'inscrire la Polynésie sur la liste des territoires non autonomes des Nations unies.

  • Les indépendantistes ont-ils une chance de l'emporter ?

Rien n'est moins sûr. D'après le dernier sondage en date sur l'indépendance de la Polynésie réalisé en 2012, près des deux tiers des Polynésiens indiquaient qu'ils voteraient "contre" si un référendum était organisé. De plus, le Tavini huiraatira, principal parti indépendantiste, n'a cessé de perdre des voix lors des dernières élections territoriales : il a engrangé 40.000 voix au premier tour en 2008, 30.800 en 2013, 25.900 en 2018...

Mais depuis, certains signes viennent conforter la thèse d'une plus grande acceptation du Tavini par la population. Déjà, les Polynésiens ont élu leur premier député indépendantiste en 2017. En 2022, le Tavini a même fait carton plein : les trois élus actuels, Moetai Brotherson, Steve Chailloux et Tematai Le Gayic, sont issus de ses rangs. 100 % des députés de Polynésie sont donc indépendantistes.

Dans un article publié dans The Conversation en début d'année, le professeur Vincent Tournier, maître de conférences à Sciences Po Grenoble et spécialiste de la politique polynésienne, s'est penché sur ces victoires électorales indépendantistes. Selon lui, une conjonction de plusieurs facteurs liés à la religion, la mémoire du nucléaire et l'histoire coloniale du territoire ont créé un terreau fertile à l'indépendantisme.

La crise du Covid-19, qui a fortement touché l'archipel à partir de l'été 2021, a été un catalyseur du soutien au Tavini indépendantiste. L'obligation vaccinale imposée aux plus fragiles par les autorités locales (mais pas respectée par certains ténors de la politique, comme le président de l'Assemblée et le vice-président) a revigoré la défiance d'une partie de la population vis-à-vis de l'État français et du gouvernement local autonomiste. Sans compter le scandale lié au mariage du vice-président Tearii Alpha, en pleine vague de Covid-19. Candidat aux territoriales de cette année, ce dernier a demandé pardon aux Polynésiens.

La visite d'Emmanuel Macron en Polynésie en juillet 2021 n'a pas non plus aidé à apaiser les relations entre le peuple polynésien et Paris : sur la question des essais nucléaires, le chef de l'État a certes reconnu une dette de l'État à l'égard des Polynésiens, mais il n'a pas été assez loin sur le dédommagement des victimes, critiquent les associations. 

Les élections approchent à grands pas, la plupart des partis politiques sont de sortie au marché.

Mais si l'indépendantisme polynésien est en bonne forme politique, c'est également à cause de l'éclatement du camp adverse et de l'émergence d'un front anti-Fritch. "Contrairement à 2018 où les autonomistes s'étaient regroupés comme un seul homme sous la bannière Tapura [le parti d'Édouard Fritch], les territoriales de 2023 marquent le retour de la division de leur camp", indique Polynésie La 1ère.

Depuis les dernières élections, de nombreux cadres du Tapura ont fait défection, critiquant la gestion du Pays par Édouard Fritch. Pour les territoriales 2023, ces frondeurs se sont donc lancés sous leur propre bannière, comme Nicole Sanquer, ancienne députée du Tapura, et désormais présidente du A here ia Porinetia. C'est également le cas de l'ancienne ministre du Travail et secrétaire du Tapura Nicole Bouteau, qui, avec le sénateur Teva Rohfritsch, a lancé son propre parti, Ia Ora te Nuna'a. Lors de la campagne, Teva Rohfritsch a appelé au rassemblement des autonomistes dès le premier tour. Mais il répète qu'il ne sera pas question de voter Tapura au second tour si son parti ne passe pas.

Tapura huiraatira, A here ia Porinetia, Ia Ora te Nuna'a... Si on ajoute le Amuitahiraa o te nuna'a Maohi, les formations autonomistes sont donc beaucoup plus nombreuses qu'il y a cinq ans. L'éparpillement des voix, qui profitera au Tavini huiraatira, est plus que probable.