Un mois de crise sociale à Mayotte [Encadré]

Mayotte est paralysée par un mouvement social débuté le 20 février, il y a tout juste un mois, commencé pour lutter contre l'insécurité qui sévit sur l'île. Les revendications se sont élargies à la situation économique et sociale mahoraise.

Aux origines du mouvement : les violences en milieu scolaire

Le 19 janvier de violents affrontements entre bandes rivales éclatent au lycée Kanahi de Mamoudzou, entrainant l'évacuation des élèves. Le 6 février, un bus scolaire est la cible d'un caillassage. Les chauffeurs exercent alors leur droit de retrait. Regardez le reportage de Mayotte la 1ère sur ces violences : 

Ces violences entre jeunes, dans les établissements scolaires et à leurs abords, sont le point de départ d'une manifestation qui se tient le 20 février à Mamoudzou. Près d'un millier de personnes défilent contre l'insécurité. Une semaine plus tard, le 27 février, les manifestants organisent une journée "île morte". Des barrages sont érigés sur les principaux axes routiers mahorais, et les liaisons maritimes entre Grande-Terre et Petite-Terre sont bloquées.

Premières réponses du gouvernement et polémique avec l'opposition

Au lendemain de la journée "île morte" le gouvernement cherche à calmer la contestation en annonçant des mesures de lutte contre l'insécurité. Parmi elles, l'envoi de deux pelotons de gendarmerie mobile, la mise en place "dans les dix jours" d'un plan de sécurisation des établissements et des transports scolaires ou encore l'arrivée de dix policiers supplémentaires à la police aux frontières d'ici la fin du mois de mars pour lutter contre l'immigration illégale. Mais les annonces d'Annick Girardin, la ministre des Outre-mer, ne sont pas jugées suffisantes par les manifestants.

La situation à Mayotte fait polémique dans l'arène politique nationale. En déplacement sur l'île, le président des Républicains, Laurent Wauquiez, déclare que Mayotte "est abandonnée par le gouvernement".


Annick Girardin lui répond depuis Saint-Martin, où elle suit la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma, et l'accuse de "mettre de l'huile sur le feu".


Les élus locaux rejoignent le mouvement

Le 5 mars, les élus locaux mahorais se joignent à la contestation populaire. Les institutions sont fermées. Maires et conseillers départementaux élargissent le champ des revendications et chiffrent le développement de l'île à 1,8 milliard d'euros sur dix ans, afin que Mayotte se mette au niveau des autres départements français. 

Une grande manifestation qui regroupe les élus, le collectif des citoyens de Mayotte, l'intersyndicale et la population a lieu le 7 mars. 3000 personnes bravent la pluie et descendent dans la rue à Mamoudzou. Dans le cortège, des drapeaux français. Les manifestants chantent la Marseillaise et exigent que l'Etat remplisse son rôle et assure leur sécurité. 

©la1ere


Annick Girardin se rend à Mayotte pour une visite sous tension

La ministre des Outre-mer arrive à Mayotte le lundi 12 mars. Mais l'intersyndicale et le collectif des citoyens y sont hostiles, affirmant que sa visite n'est "pas souhaitée". Ils réclament la venue du Président de la République ou, à défaut, celle du Premier ministre et du ministre de l'Intérieur.

Annick Girardin s'emploie à discuter avec les manifestants. Elle sera huée place de la République à Mamoudzou. En fin de journée elle annonce de nouvelles mesures de renfort de la sécurité.


Le lendemain, elle rencontre une délégation constituée de membres de l'intersyndicale, du collectif des citoyens de Mayotte et d'élus locaux, pour amorcer des négociations. Le soir, elle annonce dans un communiqué qu'"un accord de principe a été conclu" et que "les collectifs et l'intersyndicale se sont engagés à débloquer les barrages de l'île au cours de la matinée du 14 mars 2018".

La rentrée des classes, qui devait avoir lieu le 12 mars, ne voit finalement arriver que très peu d'élèves dans les écoles. Ils seront renvoyés chez eux.


Ni accord, ni levée des barrages : le mouvement se durcit

Mais au lendemain de cette annonce ministérielle, le 14 mars, les grévistes refusent de lever les démanteler les barrages. Pour les manifestants, "si ils ont envie de nous parler, qu'ils viennent nous voir". Le collectif des citoyens de Mayotte, qui avait d'abord confirmé qu'un accord avait été trouvé avec le gouvernement, se range finalement de leur côté. Fatihou Ibrahim, son porte-parole, déclare que "la grève générale continue, les barrages sont maintenus"

Interpellée à l'Assemblée nationale sur le blocage de l'île et des négociations, Annick Girardin se justifie en répondant que "je n'ai jamais pensé que ma visite à Mayotte réglerait tout"


Le jeudi 15 mars, le préfet de Mayotte, Frédéric Veau, rencontre le collectif et l'intersyndicale à Tsingoni pour trouver une issue à la crise. Mais la réunion tourne court, ces derniers quittent la table des négociations et déclarent que le préfet n'a pas de mandat de l'Etat pour mener ces discussions.


Menace de pénuries et vives tensions intercommunautaires

L'ombre de pénuries alimentaire, de gaz et de carburant se fait sentir à la troisième semaine de blocage de l'île. A l'hôpital de Mamoudzou, la situation devient "critique" : manque de médicaments et de matériel, mais aussi difficultés pour les ambulances de transporter d'éventuels malades ou blessés à cause des barrages.

Dans des villages du Nord de Mayotte, des tensions éclatent entre Mahorais et étrangers, en particuliers Comoriens. Certains villageois cherchent les étrangers pour les faire expulser, toujours sur fond d'affrontements entre bandes rivales. 


Maintien malgré tout de l'élection législative partielle

Après l'annulation de l'élection de Ramlati Ali au poste de député de Mayotte, une nouvelle élection législative est prévue sur l'île les 18 et 25 mars. A quelques jours du scrutin, les élus locaux demandent au préfet un report, pour des raisons de sécurité. Mais la préfecture refuse, le premier tour a bien lieu.

Tous les bureaux de vote sont ouverts, mais l'abstention avoisine 70%. Elle était de 58% pour l'élection législative précédente, en juin 2017. La député sortante, sans étiquette, Ramlati Ali (36,15%) arrive en tête, suivie par le candidat des Républicains Elad Chakrina (32,59%). 


Mayotte, 101ème département français aux multiples défis

La crise mahoraise s'inscrit dans un contexte de pression démographique, sociale et migratoire. Devenue les 101ème département français en 2011, Mayotte est en proie à une crise structurelle. Côté démographie, la population mahoraise a été multipliée par 11 en 60 ans. Aujourd'hui, un Mahorais sur deux a moins de 17 ans.


L'immigration, notamment venue des Comores voisines, est très importante. 42% de la population de Mayotte est native des Comores.


L'île est également en proie au chômage et à la pauvreté de masse


La délinquance y est bien plus élevée que dans les autres départements d'Outre-mer et dans l'Hexagone.