Démission du gouvernement : Gérald Darmanin, un ministre des Outre-mer en territoire troublé

Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, à Paris.
Démissionnaire avec le gouvernement de Gabriel Attal, Gérald Darmanin quitte son double rôle de ministre de l'Intérieur et de celui des Outre-mer, qu'il avait hérité en juillet 2022. Pendant deux ans, il aura surtout été un ministre très sécuritaire, concentré sur Mayotte et la Nouvelle-Calédonie, laissant la gestion des autres (et nombreux) problèmes ultramarins à ses ministres délégués.

Des émeutes en Nouvelle-Calédonie, des barrages à Mayotte, une délinquance et un trafic de drogue galopant en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane... Alors que le gouvernement de Gabriel Attal tire finalement sa révérence après des semaines d'incertitude politique à l'issue des élections législatives anticipées, Gérald Darmanin quitte son poste au ministère de l'Intérieur et des Outre-mer.

Ministre dès l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir en 2017, ce transfuge de la droite républicaine occupe d'abord le ministère des Comptes publics, auprès de Bruno Le Maire, et a, à sa lourde charge, la tâche d'élaborer le budget de l'État. En juillet 2020, après le départ de Christophe Castaner du ministère de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ancien député UMP (devenu LR), est le candidat parfait pour gérer la Place Beauvau. Il devient alors le symptôme d'un quinquennat qui prend des accents de plus en plus droitiers.

Un superministère

Fidèle parmi les fidèles du président, l'édile de Tourcoing (Nord) se verrait bien être promu Premier ministre de la France. Après l'élection présidentielle de 2022, le chef de l'État est réélu. Mais le pays est plus divisé que jamais. Emmanuel Macron remercie son Premier ministre d'alors, Jean Castex. Gérald Darmanin pense avoir une chance pour prendre les rênes du gouvernement. Mais ce ne sera pas pour tout de suite, tranche le président, pressé de toutes parts de nommer une femme à Matignon. C'est Elisabeth Borne qui hérite donc du poste.

La Première ministre Elisabeth Borne et le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin lors d'une réunion avec les membres d'une délégation du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, à Paris le 11 avril 2023.

Mais, remercié pour sa loyauté, le ministre de l'Intérieur voit son portefeuille élargi. Gérald Darmanin prend donc la tête d'un superministère, qui englobe celui des Outre-mer. Rien d'inédit, ce fut déjà le cas dans le passé. Mais les élus parlementaires ultramarins, qui pour la plupart siègent dans les rangs de la gauche, s'étranglent. La fin du ministère des Outre-mer de plein droit est une douche froide alors qu'un fossé s'est creusé entre le pouvoir en place et les départements, régions et collectivités ultramarines.

Le nouveau super-ministre n'a toutefois pas les capacités d'être à la fois le premier flic de France et gérer les affaires de Pointe-à-Pitre, de Saint-Denis, de Cayenne ou de Papeete. Pendant ses deux années en tant que double ministre, il délègue donc le gros du travail à ses ministres placés sous tutelle, et souvent tapis dans l'ombre : Jean-François Carenco (2022-2023), Philippe Vigier (2023-2024) et Marie Guévenoux, qui n'aura tenu que quelques mois rue Oudinot.

En tant que ministre des Outre-mer de plein exercice, Gérald Darmanin garde sous sa houlette certains sujets qu'il juge clés. Si ses ministres multiplient les allers-retours entre Paris et les territoires de l'Atlantique, de l'océan Indien et du Pacifique, lui ne se déplace que pour les grandes occasions. Et surtout pour aller à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, deux dossiers brulants dont il s'est emparé.

"Sa méthode n’est pas la bonne"

À la suite d'Edouard Philippe et de Sébastien Lecornu, respectivement Premier ministre et ministre des Outre-mer pendant une partie du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, Gérald Darmanin récupère pour lui tout seul le périlleux et délicat dossier calédonien. Lui arrive aux manettes une fois le troisième et dernier référendum sur l'autodétermination de 2021 passé (le "Non" à l'indépendance l'emporte largement, mais au prix du boycott par le camp indépendantiste). Objectif, à présent, et pas des moindres : réunir les différentes parties indépendantistes et loyalistes pour s'accorder sur le futur statut de la Nouvelle-Calédonie.

Sauf que l'attitude du gouvernement, qui penche ouvertement du côté des non-indépendantistes, froisse les militants du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). D'autant que la présidente de la Province sud, Sonia Backès, une fervente loyaliste, intègre le gouvernement... dans un secrétariat d'État, placé sous tutelle du ministère de l'Intérieur. Ensuite, malgré les initiatives pour mettre les deux camps et l'État autour d'une même table, les négociations s'embourbent.

Première rencontre pour Gérald Darmanin et Jean-François Carenco à la province Nord avec Paul Néaoutyine

Le locataire de la Place Beauvau fait plusieurs déplacements à Nouméa. Mais le problème est profond. L'avenir du territoire est en jeu. Et la méthode Darmanin en crispe plus d'un. En mars 2024, le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, l'indépendantiste Roch Wamytan, disait au micro de Nouvelle-Calédonie la 1ère : "J’ai déjà eu l’occasion de lui dire : sa méthode n’est pas la bonne pour avancer dans les discussions. La preuve, elles sont bloquées avec lui."

Face aux difficultés d'avancer et alors qu'un terrain d'entente semblait impossible à trouver, le gouvernement choisit l'option de l'ultimatum : soit un accord local est trouvé, soit l'État prend les devants. L'exécutif pose alors sur la table un projet de loi constitutionnelle, qui prévoit de dégeler partiellement le corps électoral calédonien. Un héritage sacré des accords de Nouméa et de Matignon, censé préserver le poids politique des kanaks, en infériorité numérique sur le Caillou. Inacceptable pour les indépendantistes.

Pour l'exécutif, le temps presse : des élections provinciales doivent être organisées avant 2025. Les indépendantistes et non-indépendantistes sont donc priés de trouver un accord avant le 1er juillet 2024. Entre temps, le gouvernement avance sa révision de la Constitution.

En avril 2024, la loi constitutionnelle est votée au Sénat. Puis à l'Assemblée nationale, en mai. Pour être définitivement adopté, le controversé projet de loi doit passer par le Congrès de Versailles, qui est censé se tenir avant le mois de juillet. Sauf que le texte n'aura jamais l'occasion de passer cette étape. Le vote à la chambre basse a attisé les tensions sur le Caillou. Alors que les députés s'écharpent, la Nouvelle-Calédonie s'embrase. Le territoire est frappé par de violentes émeutes.

Barrage filtrant dans le quartier d'Auteuil le mercredi 15 mai 2024

Le 13 mai, des barrages sont érigés dans le Grand Nouméa. Des bâtiments sont brûlés. Les affrontements avec les forces de l'ordre font plusieurs morts (aujourd'hui, le bilan est de dix personnes tuées). 2024 ressemble tristement aux heures troubles des années 1980.

L'échec est cinglant pour Gérald Darmanin. Il n'aura pas su faire avancer le territoire vers un avenir apaisé et a même été accusé d'attiser les tensions localement. Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer s'est fait très discret en se rendant sur le Caillou avec le président de la République après le début des violences.

Le "tout-sécuritaire" à Mayotte

Malgré ses remarques parfois acerbes, le ministre âgé de 41 ans a toujours prôné le dialogue. Mais en vain : il a souvent fait grincer des dents les Ultramarins avec qui il échangeait. Comme en 2023, par exemple, lorsque, lors d'un colloque sur les Outre-mer, Gérald Darmanin estime que c'est la République qui a aboli l'esclavage dans ce qui était auparavant les colonies françaises, semblant minimiser le rôle joué par les esclaves eux-mêmes dans leur libération. Vivement interpellé à l'Assemblée nationale quelques jours plus tard, il signe et persiste alors que plusieurs députés ultramarins lui demande de préciser sa pensée : "C'est la République qui a aboli l'esclavage".

Il faut dire que la politique mémorielle liée à l'esclavage n'est pas vraiment le sujet du ministre de la Place Beauvau, qui choisit lui-même les dossiers qu'il veut gérer et ceux qu'il préfère déléguer. La crise de l'eau à Mayotte ? C'est Philippe Vigier qui s'en charge. Les mesures du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM) pour améliorer le quotidien des Ultramarins ? C'est Jean-François Carenco qui fait le gros du boulot, avant d'être remercié deux jours seulement après avoir présenté les 72 mesures du CIOM. 

Jean-François Carenco derrière le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, et Elisabeth Borne, la Première ministre.

En revanche, Gérald Darmanin se donne pour mission de régler les nombreux problèmes que rencontre Mayotte, département le plus pauvre de France qui concentre les difficultés socio-économiques et sécuritaires. L'hostilité de la population vis-à-vis des migrants venus des Comores, de Madagascar et d'Afrique continentale y est grandissante. Pour le ministre de l'Intérieur, une seule réponse peut régler le problème des Mahorais : la sécurité.

En 2023, il met donc en place une vaste opération policière avec un triple objectif : lutter contre l'immigration illégale, contre la délinquance et contre l'habitat insalubre. Il appelle cela l'opération Wuambushu. À coups de renforts policiers, de destruction de bidonvilles et d'expulsions de clandestins, Gérald Darmanin veut reprendre le contrôle de Mayotte. Malgré des débuts poussifs, liés aux freins diplomatiques et judiciaires, l'opération porte en partie ses fruits et les tensions diminuent d'un cran sur ce territoire qui vivait au rythme des batailles entre gangs, des caillassages et des attaques à la machette. 

Mais, fin juin 2023, la France est frappée par des émeutes urbaines après la mort du jeune Nahel à Nanterre, tué par un policier lors d'un contrôle routier. Beauvau n'a pas le choix que de ramener certains effectifs policiers dans l'Hexagone. Le calme n'est donc que passager à Mayotte, qui subit, par ailleurs, une crise de l'eau inédite.

Les caillassages et les agressions ressurgissent. À Mamoudzou, un camp de migrants installés autour du stade de Cavani concentre toutes les tensions et le ressentiment de la population, qui accuse les demandeurs d'asile d'alimenter le sentiment d'insécurité. Des collectifs citoyens se forment alors. En colère, la population bloque l'archipel. La barge qui rejoint la Petite Terre à la Grande Terre est hors service. L'économie est étranglée.

Des manifestants participent à un barrage routier, le 9 mars 2018, près de Koungou, à Mayotte.

Gérald Darmanin, accompagné de sa nouvelle ministre déléguée Marie Guévenoux, est dépêché sur place, avec des annonces fortes. Dès sa sortie de l'avion, il annonce un projet de loi constitutionnel pour supprimer le droit du sol à Mayotte, même si celui-ci est déjà fortement restreint localement. La mesure, qui fait grand bruit dans les cercles médiatiques hexagonaux et dans la classe politique, n'était pas vraiment réclamée par la population. Eux voulaient surtout l'abrogation des titres de séjour territorialisés, qui empêchent aux détenteurs d'un titre à Mayotte de se rendre ailleurs en France.

Gérald Darmanin remet cette mesure à plus tard, dans un futur projet de loi Mayotte annoncé depuis plusieurs années mais qui tarde à se concrétiser. Avec la dissolution de l'Assemblée nationale et la démission du gouvernement, le texte est tombé à l'eau. Sur place, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer annonce également une deuxième opération Wuambushu, désormais appelée Mayotte place nette, à l'image des nombreuses opérations anti-drogue menée dans plusieurs communes françaises. Mais ce Wuambushu 2 est beaucoup moins ambitieux que la première version, avec beaucoup moins de renforts envoyés sur le territoire.

Surtout ministre de la Nouvelle-Calédonie et ministre de Mayotte, Gérald Darmanin laissera en héritage des territoires en crise, marqués par les tensions et les divisions. Si Mayotte semble aujourd'hui un peu plus apaisée, la sortie de crise reste incertaine pour la Nouvelle-Calédonie. Dimanche, l'ancienne collègue du locataire de Beauvau, Sonia Backès, a acté l'incompatibilité des indépendantistes et des non-indépendantistes calédoniens. Sa solution : donner plus d'autonomie aux provinces du Caillou pour que chacun vive de son côté. L'antithèse même du vivre-ensemble.