"À Mayotte, la délinquance ne l’emportera pas sur les lois de la République". En avril 2023, dans les colonnes du Figaro, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin levait enfin le voile sur l'opération coup de poing qu'il préparait en secret depuis plusieurs mois. Wuambushu allait permettre de sortir le 101ᵉ département français de la crise sécuritaire dans laquelle il s'enfonçait, en augmentant considérablement les moyens humains pour lutter contre l'immigration illégale venue des Comores, contre la délinquance et contre l'habitat insalubre.
Quelques jours après, des centaines de renforts policiers et de la gendarmerie débarquaient dans l'archipel. Pourtant, dès ses premiers jours, l'opération patine. L'État peine à expulser les habitants des bidonvilles. Les reconductions à la frontière se font au compte-goutte. Et les forces de l'ordre sont vite rappelées dans l'Hexagone, en proie à des violences urbaines après la mort du jeune Nahel, à la fin du mois de juin 2023.
Les résultats de Wuambushu sont donc mitigés. En fin d'année, la violence ressurgit. Les habitants, excédés par l'immigration et l'insécurité, décident d'exprimer leur mécontentement en bloquant les deux îles de Mayotte pendant plusieurs semaines. C'est pourquoi une deuxième version de l'opération est imaginée par l'exécutif. Elle doit être lancée à partir de la semaine prochaine, une fois le ramadan terminé.
En listant les objectifs de ce Wuambushu 2 – "la lutte contre l'immigration clandestine, des opérations de décasages et des opérations visant à interpeller des chefs de bandes" –, la ministre déléguée chargée des Outre-mer, Marie Guévenoux, désormais en charge du dossier, a semblé reconnaître que ceux de la première opération n'ont pas été atteints. Retour sur le bilan en demi-teinte de l'opération Wuambushu.
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25.000 personnes reconduites à la frontière... comme en 2022
Mayotte, territoire français de l'océan Indien, se situe à proximité des Comores, de Madagascar et de l'Afrique continentale. Une filière d'immigration clandestine s'est développée ces dernières années, en particulier en provenance d'Anjouan (une île des Comores). En 2019, selon l'Insee, près de la moitié de la population du département n'avait pas la nationalité française.
Face à la colère de la population, animée par un fort sentiment antimigrants, Gérald Darmanin avait promis de lutter contre l'immigration illégale. L'opération Wuambushu devait voir plusieurs milliers de sans-papiers renvoyés vers les Comores. Mais c'était sans compter la réticence des autorités comoriennes, qui revendiquent toujours leur souveraineté sur Mayotte. Or, les expulsions ne peuvent se faire sans coopération avec le pays d'origine. Le président Azali Assoumani a ainsi bloqué les retours depuis la France, mettant à mal dès ses premiers jours l'opération Wuambushu.
Mais, au bout de trois semaines et à force de dissuasion diplomatique – Paris a menacé Moroni de cesser le versement d'une aide au développement, et de retirer la double nationalité à ses dirigeants – les Comores ont finalement accepté les bateaux en provenance de Mayotte. Alors que 70 personnes étaient expulsées du territoire trois fois par semaine avant Wuambushu, ce chiffre est devenu quotidien pendant l'opération. Au total, près de 25.000 personnes ont été reconduites à la frontière, soit autant qu'en 2022.
Pourtant, la crise des barrages du début d'année 2024, qui s'est cristallisée autour du camp de migrants du stade de Cavani, a illustré les tensions qui existent toujours autour de la question migratoire. Pour dissuader les candidats au départ pour Mayotte, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a annoncé la suppression à venir du droit du sol sur le territoire, ainsi qu'un projet de loi d'urgence qui devrait acter la levée des titres de séjour territorialisés.
Récemment, le profil des demandeurs d'asile qui se rendent à Mayotte a évolué. Près d'une personne sur deux était originaire d’Afrique des Grands Lacs en 2023, contre 25 % en 2022. Ce changement d'origine géographique des immigrés a modifié le taux d’acceptation des demandes examinée par l'antenne locale de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) à Mayotte : l'asile a été accordé dans 40 % des cas en 2023, contre seulement 14 % en 2022.
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Des chefs de bandes arrêtés, mais une violence qui ressurgit
À Mayotte, territoire le plus pauvre de France, la délinquance explose. Entre 2016 et 2023, les destructions et dégradations volontaires ont doublé. Les coups et blessures, vols avec armes et violences sexuelles ont également augmenté, mettant l'archipel de l'océan Indien sous pression, au grand dam des habitants, qui vivent sous la menace des caillassages et des agressions.
Lors de l'opération Wuambushu, Gérald Darmanin a envoyé 1.800 policiers et gendarmes en renfort dans le département, dont la fameuse compagnie de CRS 8, spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines. La forte présence policière a permis de ramener un semblant de calme pendant quelques mois (les affrontements entre bandes et forces de l'ordre n'ont jamais cessé).
En septembre, le ministre de l'Intérieur se félicitait de l'arrestation de 55 chefs de gang (sur les 59 qui ont été identifiés). Au total, plus de 1300 personnes ont été interpellées. En parallèle, les violences ont baissé de 10 %.
Mais l'accalmie ne fut que temporaire pour les Mahorais et Mahoraises. Au mois de juin 2023, plusieurs renforts sont rappelés dans l'Hexagone, où des violences urbaines frappent des villes après la mort de Nahel, tué par un policier. Si quelques effectifs sont revenus pour sécuriser la rentrée scolaire, la présence des forces de l'ordre n'a plus jamais atteint le pic connu lors de Wuambushu.
Très vite, caillassages, vols, agressions et rixes entre bandes sont redevenus le quotidien de la population. Des rencontres sportives ont dû être annulées après l'attaque de jeunes joueurs en marge de matchs de football. Des employés du Centre hospitalier de Mayotte ont exercé leur droit de retrait après avoir été pris pour cible dans leur bus. La recrudescence des violences, que les habitants attribuent aux sans-papiers, a entraîné un ras-le-bol général, qui s'est matérialisé par le vaste mouvement social et les barrages sur l'ensemble du territoire en début d'année.
En février, en annonçant la préparation d'un deuxième volet de l'opération Wuambushu, Gérald Darmanin promettait "plus de moyens de forces de l'ordre et de justice pour pouvoir lutter contre cette délinquance étrangère qui pourrit la vie de nos concitoyens".
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700 logements insalubres détruits
Comme pour les expulsions de clandestins, les destructions de bangas ont vite fait face à des obstacles juridiques. Dès le début de l'opération Wuambushu, les premières démolitions prévues dans le bidonville de Talus 2, à Majicavo, ont été suspendues par la justice. Le tribunal administratif estimait que les décasages étaient irréguliers et mettaient "en péril la sécurité" des habitants.
Après un long processus judiciaire, la préfecture a finalement obtenu le feu vert des juges pour expulser les familles des habitations insalubres. En contrepartie, l'État devait proposer une solution de relogement à chaque personne.
Près de 700 bidonvilles ont depuis été détruits à Mayotte. Gérald Darmanin s'était fixé l'objectif de démolir 1.250 bangas d'ici à fin 2023.