"Allons, enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé." Au pied de la Tour Eiffel, alors que la nuit a plongé la capitale dans le noir, la Marseillaise retentit. Devant un public déchaîné, devenu pro de la ola silencieuse, l'équipe de France de cécifoot a réalisé l'exploit : remporter sa toute première médaille d'or paralympique. De quoi terminer en beauté les Jeux de Paris 2024, avant de retrouver une vie normale. Ou presque. Car les Jeux Olympiques et Paralympiques ont changé quelque chose. Pour la première fois depuis des années, les Français ont su se retrouver derrière des centaines d'athlètes motivés, partager des émotions et découvrir des personnalités et des sports qu'ils ne connaissaient pas. Tout ne sera donc pas comme avant. L'esprit d'équipe du collectif France s'est renforcé, ainsi que la visibilité sur des disciplines exceptionnelles, des handicaps particuliers, et de belles histoires.
Après onze jours mémorables, les Jeux Paralympiques de Paris se sont achevés dimanche soir par un immense concert techno au Stade de France. Comme aux JO, les Français peuvent une fois de plus se targuer d'une très belle Paralympiade. Avec 75 médailles, dont 19 en or, 28 en argent et 28 en bronze, la France se place huitième au classement des nations. Le contrat est rempli : avant les Jeux, le Comité Paralympique et Sportif Français visait le top 8. Et parmi toutes ses médailles du camp tricolore, les quatorze ultramarins engagés dans la compétition sont parvenus à en ramener 5, dont celle en or du cécifoot.
Les "revanchards" du cécifoot
Les Français revenaient pourtant de loin. Dernière à Tokyo en 2021 et non qualifiée à Rio en 2016, l’équipe de France de cécifoot était très attendue pour ces Jeux Paralympiques. Leur faculté à rebondir et la curiosité entourant leur sport ont rendu la compétition de football adaptée aux personnes malvoyantes et non-voyantes passionnante.
Certes, il fallait rester silencieux pendant le match pour permettre aux athlètes d’entendre leur guide et les grelots du ballon. Mais ce petit effort, difficile pour certains, en valait la peine. Les Bleus, avec dans leur rang le Réunionnais Gaël Rivière, ont émerveillé le public et ont réalisé une compétition de toute beauté. Leur médaille d’or remportée après un match à couper le souffle contre l’Argentine, invitée surprise de cette finale après avoir battu les indomptables Brésiliens, fut la cerise sur le gâteau de leur belle semaine parisienne.
Le Réunionnais, avocat d'affaires dans la vie active (le cécifoot est encore un sport amateur en France, contrairement au Brésil), n'en revenait pas après la victoire française. "L'histoire est tellement folle qu'on se dit que ce n'est pas possible", a-t-il lâché au micro de la première, samedi soir.
Deuxième en phase de poules avec deux victoires et une défaite, les joueurs tricolores ont affiché un niveau de jeu exceptionnel et ont fait taire les critiques autour de leur contre-performance de Tokyo.
Laurent Chardard, le requin volant
Un autre Réunionnais repart de ces Jeux avec non pas une, mais deux médailles autour de son cou. Rien ne pouvait arrêter Laurent Chardard dans son rêve de médaille paralympique, pas même ce requin qui l’a attaqué en 2016 à La Réunion alors qu’il surfait, lui coutant un bras et une jambe. Dans le bassin de Paris la Défense Arena, le jeune homme de 29 ans originaire de Saint-Pierre a nagé vers son destin, avec le cœur et l’envie.
"Je voulais tellement cette médaille paralympique. Je n’avais pas réussi à l’obtenir à Tokyo [en 2021]. Maintenant, c'est fait", se réjouissait-il après sa troisième place en finale du 50 m papillon. Le Réunionnais, insatiable, remet ça sur le 100 m nage libre deux jours après. Une nouvelle fois troisième, il décroche sa deuxième médaille de bronze.
Deux courses individuelles, deux médailles. Les Jeux de Paris sont réussis pour Laurent Chardard, soutenu par des milliers de spectateurs, dont quelques Réunionnais venus exprès pour l'acclamer. Le Français, qui visait surtout l'or, n'a pas caché sa frustration après l'échec du relais avec ses camarades de l'équipe de para natation, qui s'est classée septième samedi soir.
Mais, tant pis, le nageur volant aura réalisé une semaine quasi parfaite. Il a pris rendez-vous pour les Jeux de Los Angeles en 2028, où il espère cette fois décrocher son bout de métal doré.
Hélios Latchoumanaya, le géant à genoux...
Il était sans doute celui dont la délégation française avait déjà coché le nom à côté de la case "médaille d'or", mais au Champs-de-Mars, samedi 7 septembre, le géant Hélios Latchoumanaya a dû mettre les genoux à terre. Meurtri dans sa chaire, le Guadeloupéen a échoué en finale d'un point, d'un jugement de l'arbitre, d'un coup du sort, d'un waza-ari. Il a humé cette médaille d'or qui lui tendait les bras. Poussé par tout le public de l’Arena Champs-de-Mars, le para-judoka de 24 ans est tombé en finale contre l’Ukrainien Oleksandr Nazarenko. "Je ne peux m'en vouloir qu'à moi", lâchait-il, amèrement, après son combat.
Double champion du monde et d'Europe en titre, les Jeux Paralympiques de Paris devaient être la consécration pour ce jeune athlète atteint de déficience visuelle. Mais comme tous les grands champions, il ne peut rester sur une défaite, et a déjà pris rendez-vous pour le futur et pour Los Angeles en 2028.
Alex Adélaïde, le caméléon des Jeux Paralympiques
Alex Adélaïde est un caméléon. Il a découvert les Jeux Paralympiques en para-athlétisme à Rio en 2016 et est réapparu à Paris, en tant qu'haltérophile. Arrivé tout sourire devant le public à l'Arena de la Porte de la Chapelle, Alex Adélaïde a soulevé ses 160 kilos de poids, comme il a relevé tous les défis qui se sont présenté à lui.
Réference dans sa discipline, le Guadeloupéen n'a pas pesé lourd face à ses adversaires, mais que faire, sa performance était déjà incroyable à ses yeux. "Je suis parmi les huit meilleurs au monde, je ne peux être que content." Sixième de sa finale, il aura fait aimer son sport et sera sans conteste l'une des belles découvertes de ses Jeux.
En rugby et en basket fauteuil, les Bleus font la grimace
Eux n'auront pas le plaisir de savourer une médaille. Les para rugbymen et para basketteurs repartent des Jeux Paralympiques la tête basse. En rugby fauteuil, les joueurs étaient arrivés ambitieux et visaient les demi-finales. Mais malheureusement, sur le terrain, la mayonnaise n’a pas pris. Le rêve de médaille paralympique de l'Antillais Cédric Nankin et de ses coéquipiers s’est évaporé dès la phase de poules. "Devant notre public, on pouvait et on devait faire plus. Notre objectif n’est pas atteint, on venait pour une médaille", réagissait Bob Vanacker, le coach des Bleus, au soir de la défaite contre la Grande-Bretagne.
Revanchard, Cédric Nankin a annoncé ne pas arrêter maintenant. "Pourquoi ne pas pousser jusqu’à Los Angeles en 2028 ?", demande-t-il tout sourire. Bilan des courses, les tricolores repartent amers de cette épreuve, même s’ils améliorent leur performance comparé à Tokyo, où ils avaient terminé 6ᵉ. À Paris, l'équipe de France de rugby fauteuil se classe 5ᵉ.
Même sentence pour les Bleus du basket fauteuil. Ils n’avaient plus participé aux Jeux Paralympiques depuis Athènes en 2004. Ils avaient donc les crocs avant d’entrer en lice à Paris, devant leurs amis et familles. Le Guadeloupéen Audrey Cayol, dernier survivant de cette épopée grecque, était le chef de fil de cette équipe. Mais, dès le premier match, les carences des Bleus se sont remarquées face à des équipes mieux armées et plus déterminées.
Le Martiniquais Jordan Luce était aussi de la partie, pour ses tout premiers Jeux. Jamais, malheureusement, les tricolores n’ont été en position d’espérer une médaille à l'issue de la compétition. Fébriles en défense, ils sortent des phases de poules en dernière position et se sont fait gifler par les Américains en quarts de finale 82-47. "Devant ce public, on devait faire mieux. On ne peut pas faire de telles prestations", tonnait alors froidement Audrey Cayol. Battue lors de ses deux matchs de classement, le retour de l’équipe de France aux Jeux Paralympiques après 20 ans d’absence aura tourné au fiasco.
Une médaille et des espoirs en para athlétisme
Le para athlétisme représentait une grande chance de médailles pour la France. La moitié des Ultramarins sélectionnés pour les Jeux Paralympiques l'étaient pour des épreuves d'athlétisme. Le Stade de France a donc vibré pour encourager les sportifs tricolores dans leur quête de médaille. Mais tout ne s'est pas passé comme prévu.
Vivement attendus sur les pistes violettes du stade situé à Saint-Denis, au nord de Paris, le Calédonien Pierre Fairbank et la Martiniquaise Mandy François-Elie, déjà multi-médaillés, n'ont pas réussi à utiliser leur expérience pour se hisser sur un podium.
Pourtant, les deux Français se sont montrés résistants. Finale après finale, Pierre Fairbank, âgé de 53 ans et qui participait à ses septièmes Jeux, s'est à chaque fois rapproché du podium : dans son fauteuil de course, il a d'abord fini sixième du 400 m, puis cinquième du 100 m, avant de terminer au pied du podium sur le 800 m. La légende du para athlétisme, qui avait annoncé que Paris seraient ses derniers Jeux, est resté évasif sur la suite de sa carrière sportive, lui qui voulait décrocher sa dixième médaille paralympique avant de faire ses adieux à l'athlétisme.
Mandy François-Elie, qui va bientôt souffler ses 35 bougies, n'est plus aussi performante qu'il y a une dizaine d'années, où elle remportait médailles sur médailles sur le 100 m et le 200 m. À Paris, la Martiniquaise est à chaque fois restée coincée à la cinquième place, derrière des athlètes chinoises et américaines surpuissantes. Elle n'a pas encore décidé si elle continuerait l'athlétisme ou non. Mais, à Paris, elle s'est également élancée sur le saut en longueur, où elle a, là aussi, fini cinquième. Une belle performance pour un début, qui peut la pousser à vouloir continuer jusqu'aux Jeux de Los Angeles.
Ces habitués des grandes compétitions internationales ont aussi côtoyé des petits nouveaux qui ne demandent qu'à briller. C'est le cas de trois athlètes originaires du Pacifique, qui ont participé à leurs premiers Jeux Paralympiques à Paris. Le Wallisien Vitolio Kavakava, engagé sur le lancer de javelot et le lancer de poids, a fini septième dans ces deux épreuves. Du haut de ses 29 ans, il sera certainement l’un des hommes à suivre dans les années à venir.
Le Calédonien Félicien Siapo, lui, a déjà l'étoffe d'un champion. "Je pouvais faire mieux", lâche-t-il après la finale du 100 m où il est arrivé quatrième avec un temps de 11"66. "Après, je découvre, c'est mes premiers Jeux." Et sûrement pas ses derniers, alors qu'il a fêté ses 21 ans au début du mois d'août.
Lui aussi a 21 ans et pourra aller loin s'il arrive à canaliser son énergie, prophétise sa coach. Le Wallisien Soane Luka Meissonnier s'est lui aussi classé quatrième sur les épreuves de lancer de poids. Mais, atteint de déficience intellectuelle, le jeune homme n'est pas au maximum de ses capacités. Tout reste à construire pour ce grand gaillard.
Il avait déjà remporté une médaille en saut en longueur aux derniers Jeux Paralympiques, à Tokyo. Cette fois-ci, il visait donc le plus beau métal : l'or. Mais c'était sans compter sur une malheureuse blessure qui a bouleversé son planning d'entraînement. Le Réunionnais Dimitri Pavadé a quand même réussi à faire le show au Stade de France. Avec un saut à 7,43 mètres, l'ancien docker s'est rapproché de son record personnel (7,59 m). Troisième pendant presque toute la finale, il s'est néanmoins fait dépasser de 6 petits centimètres par l'Américain Jarryd Wallace. Il finit donc quatrième, au pied du podium. Mais "pour moi, c'est mission accomplie", disait-il quand même après son épreuve, alors qu'il a repris l'entraînement il y a quatre mois seulement. Le début d'un bon retour.
Toutes ces relativement belles performances ont tout de même failli laisser un goût d'inachevé dans le para athlétisme français. Heureusement, un duo d'athlètes a ramené une médaille d'argent.Timothée Adolphe, coureur non-voyant, et son guide Jeffrey Lami, originaire des Antilles, se sont surpassés sur le 400 m. Favoris de la finale, ils ont failli triompher mais se sont faits doublés dans les dernières secondes de la course. Un peu amers, les deux Français ont souligné le rythme infernal imposé aux para athlètes, qui doivent parfois enchaîner trois courses en deux jours. Ce qui ne se faisait pas pendant les Jeux Olympiques, chez les valides.
Bravo. Bravo à tous les sportifs engagés dans ces Jeux Paralympiques de Paris 2024. Quel que soit leur handicap, si cette paralympiade a été réussie, c’est en grande partie grâce à leur courage et détermination. Pendant les dix jours de compétition, ils ont su sublimer leur sport et montrer une abnégation hors du commun.