ANALYSE. Entre deux visites d’Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie, sept changements marquants

Bulletins du Oui et du Non à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, pendant le référendum du 12 décembre 2021.
Entre mai 2018 et juillet 2023, la Nouvelle-Calédonie a vécu trois référendums d'autodétermination, sans pour autant voir se dessiner un avenir institutionnel précis. Elle a connu des séquences électorales qui ont changé les rapports de force. Et son rapport à Emmanuel Macron a évolué.

L'impression que ça n'avance pas ? L'attente de négociations entre les trois partenaires des accords pourrait donner une impression de sur-place. Pourtant, il s'en est passé, des choses, depuis la dernière visite présidentielle, cinq ans plus tôt. Sans même parler des crises Covid ou usine du Sud, voici sept observations à dimension politique.

1 L’impact des trois référendums

LE PREMIER, HISTORIQUE
Six mois après le passage d'Emmanuel Macron, la Calédonie vit le premier référendum d’autodétermination prévu par l’Accord de Nouméa. Il se déroule le 4 novembre 2018, dans des conditions jugées satisfaisantes, voire exemplaires. Question posée : "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?" Les électeurs autorisés à voter, c’est-à-dire les personnes inscrites sur la liste électorale spéciale pour la consultation, choisissent à 56,67 % le maintien dans la République. Le Oui à l'indépendance atteint 43,33 %. La participation fait rêver : 80,63 %.

LE DEUXIEME, PLUS TENDU
Un peu moins de deux ans plus tard, deuxième consultation référendaire, avec la même question. L'avant-scrutin s'avère différent, entre la crise Covid, qui complique l'organisation, et une campagne plus tendue, marquée par une bataille symbolique de drapeaux. La date du vote est retardée, ce qui correspond au souhait des indépendantistes mais qui est mal accueilli par les loyalistes. Le 4 octobre 2020, les partisans de la France l'emportent à nouveau, avec moins d'avance : 53,26 % contre 46,74 % en faveur de l'indépendance, sachant que la participation a grimpé à 85,69 %. L'écart entre les deux visions s'est réduit à 9 970 voix.

LE TROISIEME, POLÉMIQUE

Début septembre 2021, la Calédonie n'est plus Covid-free. Elle est percutée de plein fouet par une réalité dont elle restait à peu près préservée. Les premiers décès associés à la maladie sont recensés. Dans ce contexte, la date choisie pour la troisième consultation entraîne un débat virulent entre le camp du Oui à l'indépendance et les défenseurs du Non. Le référendum est maintenu, au 12 décembre. Les indépendantistes, qui demandaient son report pour des raisons sanitaires et sociales, appellent à la non-participation et à refuser toute discussion par la suite.

L'ETAT RECONNAÎT LA VICTOIRE DU NON, CONTESTÉE
Le résultat est attendu : victoire écrasante du Non, à 96,5 % contre 3,5 % de Oui. Sauf que la participation descend à 43,85 %. Mais le résultat est validé. Pour les non-indépendantistes et l'État, il confirme que la majorité des Calédoniens ont choisi de demeurer français. "Ce soir, la France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d'y rester", déclare le président de la République, en écho à son discours du 5 mai 2018. "Référendum bidon", "mascarade" : les indépendantistes contestent et annoncent des recours. Dialogue politique rompu. Ce sera le statu quo pendant des mois.

2 Un avenir qui peine à se discuter

Trois référendums ont donc eu lieu depuis le précédent passage d'Emmanuel Macron. Mais aussi plusieurs rendez-vous politiques organisés par l'Etat pour faire avancer les échanges sur l'avenir institutionnel. Depuis le dernier scrutin, de 2021, ça a été dans le sens d'un accord qui pérenniserait le maintien dans la République. 

Depuis, il y a eu encore deux déplacements ministériels, en mars 2023 et en juin 2023. Lors du dernier, Gérald Darmanin a dans ses valises deux documents très attendus : l'audit de la décolonisation et le bilan de l'Accord de Nouméa. La visite s'achève sur la promesse d'avancées. Mais toujours pas de négociations tripartites alors que les mois défilent, pointe le Sénat.

3 Les indépendantistes à la tête du Congrès et du gouvernement

En 2018, deux des trois provinces calédoniennes sont dirigées par un indépendantiste, celles du Nord et des Loyauté. Cinq ans plus tard, c'est toujours le cas. Mais entre-temps, les composantes du FLNKS ont aussi repris les rênes du Congrès : l'assemblée délibérante est présidée sans discontinuer depuis mai 2019 par Roch Wamytan, de l'Union calédonienne. 

Et en 2021, moment historique : à la mi-juillet, Louis Mapou (Union nationale pour l'indépendance) devient le premier président indépendantiste de l'exécutif calédonien depuis l'Accord de Nouméa. Une révolution qui s'est avérée laborieuse. Les divergences entre l'UC et l'Uni quant au choix du président ont entraîné un bras de fer qui a duré cinq mois. L'équipe précédente a dû assurer l'entre-deux.

 

4Une valse des interlocuteurs

Si la puissante province Sud reste dirigée par les non-indépendantistes, c'est un autre courant qu’en 2018. À l’époque, elle est présidée par Philippe Michel, de Calédonie ensemble. Mais, dans le sillage du premier référendum, les élections provinciales de mai 2019 sont largement remportées par l'Avenir en confiance. Sonia Backès, à la tête des Républicains calédoniens, qui font partie de cette plate-forme loyaliste, accède à la présidence.

Les mêmes provinciales voient l’émergence de l’Eveil océanien, parti créé quelques mois plus tôt, porté par le vote de la communauté wallisienne et futunienne. Se refusant de tomber dans le bipartisme, pour ou contre l’indépendance, le mouvement piloté par Milakulo Tukumuli se révèle arbitre entre les deux blocs du Congrès. Ses trois élus permettent l’élection de Roch Wamytan au perchoir du boulevard Vauban et l’accession d’une liste indépendantiste à la tête du gouvernement.

Autre valse entre personnalités politiques, celle des Premiers ministres. Il s'appelait Edouard Philippe en mai 2018. En juillet 2020, Jean Castex lui succède, avant l'arrivée d'Elisabeth Borne en mai 2022.

Quant au portefeuille des Outre-mer, il a été entre les mains d'Annick Girardin, puis de Sébastien Lecornu. En 2022, il a été associé au ministère de l'Intérieur, dirigé par Gérald Darmanin, qui avait pour ministre délégué Jean-François Carenco. Ce dernier a été remplacé par Philippe Vigier, toujours sous l'encadrement de Gérald Darmanin.

5Un rapport à l'homme qui a évolué

En 2017, Emmanuel Macron n’obtient en Calédonie que 12,75 % des suffrages au premier tour de la présidentielle, alors qu’il fait 24,01 % au global. Sur le Caillou, le candidat "En marche" compte alors peu de relais. Il est très largement dépassé par François Fillon des Républicains et Marine Le Pen du Front national. Au second tour, les Calédoniens le portent en tête mais à 52,57 %, contre 47,43 % à la patronne du FN. Pour comparaison, le rapport de force à l’échelle nationale est de 66,1 % contre 33,9 %. À l’époque, l’homme a la sympathie d’indépendantistes qui retiennent notamment les mots sur la colonisation "crime contre l’humanité" prononcés en février 2017 à la télévision algérienne. À l’inverse, il suscite la défiance chez une partie des loyalistes.

Contexte différent, pour la présidentielle de 2022. Emmanuel Macron reçoit le soutien de nombreux élus locaux. Au premier tour, il arrive en tête dans les urnes calédoniennes, comme au niveau national mais avec une avance bien plus prononcée : 40,5 % (c’est 27,85 % à l’échelle de toute la France), devant Marine Le Pen du Rassemblement national (18,8 %) et Jean-Luc Mélenchon - qui a un soutien indépendantiste (13,77 %). Idem au second tour, à 61,03 % contre 38,97 % à Marine Le Pen. C’est un peu plus qu’à l’échelle de la France (58,55 % / 41,45 %). Et a contrario de la vague bleu marine constatée dans la plupart des autres Outre-mer. Même si l'élection n'a pas éveillé un immense intérêt - 65% d'abstention.

Une progression associée à l’implication d’Emmanuel Macron dans le dossier calédonien. Il est présenté, chez les non-indépendantistes, comme celui qui préside à l’organisation des trois référendums et à la sortie de l’Accord de Nouméa. Comme le chef de l’Etat qui valide la triple victoire du Non à l’indépendance et donc la perspective du maintien dans la France. Chez les indépendantistes, au contraire, il incarne alors un partenaire qui serait sorti de sa neutralité.

6Une Calédonienne secrétaire d'Etat

Depuis juillet 2022, Sonia Backès fait partie du gouvernement Borne. Elle est secrétaire d’Etat à la Citoyenneté, sous l’autorité du ministre Darmanin. Une nomination qui symbolise ce changement du lien entre les loyalistes et Emmanuel Macron. En mai 2018, la présidente des Républicains calédoniens était de ceux qui déroulaient un accueil bleu blanc rouge au président. Depuis, cette cheffe de file des non-indépendantistes s’est rangée derrière le chef de l’Etat.

Son portefeuille gouvernemental est perçu par une partie de la classe politique locale comme un geste envers la Calédonie et une reconnaissance méritée pour cette personnalité politique. Par les autres, comme une provocation et un signe du manque de neutralité qu’aurait l’Etat, alors que les négociations sur l’avenir doivent être menées. La première concernée, elle, se veut rassurante quant à sa place dans le dispositif étatique.

7Un Indopacifique omniprésent

Les Rafale qui accompagnent la visite présidentielle parlent d'eux-mêmes : ces cinq dernières années ont été marquées par le discours récurrent du président Macron sur l’axe indopacifique. Une notion apparue il y a une quinzaine d’années, liée à l’importance d’une zone dont le poids économique et géostratégique ne fait que se renforcer. Elle inclut la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, le Japon et l’Australie.

La stratégie de la France en la matière est d’ailleurs dévoilée en 2018, à Sydney, juste avant le séjour en Calédonie. Calédonie qui fait partie des Outre-mer placés au cœur des intérêts stratégiques français, dans cet Indopacifique. En toile de fond, la guerre d’influence entre les USA et la Chine, dont l’ascendance en Océanie est scrutée avec inquiétude. Les escales suivantes, le Vanuatu et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, en disent long à ce propos.