Le 4 octobre 2020, la deuxième consultation référendaire prévue par l’Accord de Nouméa engagera à nouveau l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Pour poser le cadre d'un sujet aussi complexe, voici quelques éléments de compréhension.
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#1. Quelle question ?
Elle n’a pas changé en deux ans. Le dimanche 4 octobre 2020, les électeurs qui ont le droit de participer au référendum d’autodétermination devront répondre par Oui ou par Non à cette question : «Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?» Ils auront deux bulletins au choix, sur le même modèle que la dernière fois. La proposition d’un seul bulletin, avec une des deux cases à cocher, n’a pas été retenue.#2. Pourquoi cette date ?
► Ce nouveau rendez-vous ponctue le chemin ouvert il y a trente-deux ans par les accords de Matignon-Oudinot, qui mettaient un terme aux Evénements. Une voie suivie par l’Accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 entre l’Etat, le FLNKS et le RPCR.► Le texte prévoyait, entre 2014 et 2018, une première «consultation électorale» portant «sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité».
► Elle a eu lieu le 4 novembre 2018. Résultats : le Non à l’indépendance l’a emporté à 56.7 %, soit environ dix-huit mille voix d'avance, face aux 43.3 % en faveur du Oui. Or, l'Accord de Nouméa posait la suite : «Si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès [de la Nouvelle-Calédonie] pourra provoquer l'organisation d'une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première».
► 2020, donc. Mais la date a changé. Après plusieurs prises de position, la consultation a été fixée au 6 septembre. Puis la pandémie de Covid-19 a fini par rattraper le Caillou, avec sa période de confinement, son report des municipales et ses problématiques logistiques. Après de nouveaux débats, report du référendum au 4 octobre !
#3. Qui vote ?
► 180 640 personnes : c'était, au 25 août, le nombre d’inscrits sur la «liste électorale spéciale pour la consultation», aussi appelée la LESC. Ça représente deux habitants sur trois. Ce chiffre officiel sera réactualisé après l'élection, car la liste est appelée à évoluer, à la marge, jusqu'au dernier moment.► Plus de 34 000 électeurs n'ont pas le droit de vote à ce scrutin-là. C’est la différence avec la liste générale, qui permet de voter aux municipales, aux législatives, aux présidentielles et aux européennes. Elle compte 214 965 personnes. L'idée, au cœur d'un âpre débat entre indépendantistes et loyalistes : que seule la population «concernée» s'exprime aux référendums.
► Pour accéder à la liste référendaire, il faut répondre à l'un ou l'autre critère(s) parmi toute une série. Certains donnent droit à une inscription automatique (apparaître sur la liste spéciale de 1998 ; être né en Calédonie et pouvoir voter aux provinciales ; avoir le statut civil coutumier, qui concerne surtout les Kanak...). Pour d'autres, il fallait faire soi-même la démarche.
► L'inscription d'office a été un enjeu politique majeur, il permet d'ajouter, à l'un ou l'autre camp, de nouveaux électeurs potentiels en leur épargnant les formalités. A deux ans d'intervalle, les règles appliquées n'ont pas été les mêmes. Pour 2018, tous les natifs calédoniens ont été automatiquement intégrés à la liste référendaire.
En 2020, les natifs inscrits d'office ont été les personnes de statut coutumier, et les personnes nées en Calédonie qui figuraient sur la liste électorale provinciale (c'est la troisième, celle qui permet de voter pour les assemblées provinciales Sud, Nord et îles, dont découlent ensuite le Congrès et le gouvernement).
► Au final, sur 180 640 électeurs, 96 % ont été inscrits d'office. Globalement, le nombre de Calédoniens admis au scrutin a augmenté et ce n'est pas fini. Comme la date a été décalée d'environ un mois, il restait à intégrer les «nouveaux» jeunes majeurs. Ceux qui soufflaient leurs dix-huit bougies entre le 6 septembre et le 3 octobre.
► Info pratique, la carte électorale spéciale est distribuée depuis la mi-septembre, selon des modalités détaillées ici. Elle n'est pas obligatoire pour voter. L’indispensable, c'est une pièce d'identité avec photo. Autre détail bon à connaître, on peut vérifier son inscription à cette adresse.
#4. Où est-ce qu’on vote ?
► Qui dit plus d'électeurs, dit plus de bureaux de vote. En tout 304, répartis entre 241 lieux de vote. Le jour J, ils seront ouverts de 8 heures à 18 heures à une exception près : le petit bureau à la tribu de Ouara, sur l’île Ouen, commence et termine une heure plus tôt. Pour laisser le temps de ramener l'urne en mairie du Mont-Dore quel que soit l'état de la mer.► Particularité du référendum, les électeurs des communes insulaires qui habitent la Grande terre peuvent choisir de voter à Nouméa. Les «bureaux de vote délocalisés» concernent les résidents originaires de Belep, l'île des Pins, Ouvéa, Lifou et Maré. Cette procédure exceptionnelle est devenu un enjeu particulier du référendum 2020, au point d'entraîner une période d'inscription supplémentaire.
► Le dispositif va bénéficier à plus de 5 800 électeurs, contre près de 3 300 en 2018. Le nombre de bureaux délocalisés est en tout cas passé de six à dix. Et au lieu d'être aménagés dans la salle omnisports de la Vallée-du Tir, ils sont prévus à Rivière-Salée : six dans la salle omnisports Ernest-Veyret et quatre dans la salle de boxe Vincent-Kafoa.
#5. Attention aux procurations
► Les électeurs qui ne pourront pas voter en personne parce qu'ils seront retenus - par leur travail, des raisons de santé ou encore une absence du territoire - peuvent établir une procuration. Avec un formulaire spécial (explications pratiques ici).► Les règles sont plus strictes que pour les autres scrutins mais comparé à 2018, elles ont été simplifiées car différents problèmes ont été relevés. Le haut-commissariat évoque 225 procurations «signalées non arrivées» il y a deux ans et diverses difficultés à les établir.
► Attention, les procurations faites pour le 4 novembre 2018 - un peu plus de 5 300 - ne sont plus valables pour le 4 octobre 2020. Or, ce dispositif prend encore plus de sens avec le coronavirus, les fermetures de frontières et les liaisons aériennes contraintes.
► Dans ce contexte, il était conseillé aux électeurs qui vivent hors de Calédonie d'anticiper. La procuration se donne à un autre électeur inscrit sur la liste référendaire, dans la même commune (mais pas forcément le même bureau). A titre exceptionnel, si la procuration n'arrive pas à temps en mairie, le mandataire pourra montrer une copie du récépissé (par exemple une photo au téléphone portable) au lieu de l'original.
#6. Qui fait campagne ?
► La campagne officielle ? Du lundi 21 septembre au vendredi 2 octobre. Six formations politiques ont été autorisées à participer après avoir déposé un dossier auprès de l'Etat :- chez les partisans du Oui, le groupe UC-FLNKS et Nationalistes ;
- le Parti travailliste ;
- le groupe Uni, Union nationale pour l’indépendance ;
- chez les partisans du Non, deux groupements intitulés «Les Loyalistes», 1 et 2 ;
- le parti Calédonie ensemble.
La plate-forme Avenir en confiance a réuni le Rassemblement, les Républicains calédoniens et le MPC. Puis elle a formé «Les Loyalistes» avec Tous Calédoniens, le Rassemblement national et le jeune parti Générations NC.
Chez les indépendantistes, le Parti travailliste a rejoint la campagne référendaire et milite pour le Oui. Il y a deux ans, il avait choisi de ne pas participer. A noter que peu avant le 4 octobre, le mouvement a fusionné avec le MNIS afin de former le Mouvemement nationaliste pour la souveraineté de Kanaky.
A l'inverse, l’Eveil océanien, qui a fait l'an dernier une entrée fracassante dans les institutions, ne donne pas de consigne pour ou contre l'indépendance.
► Pour défendre leur projet de société respectif, les six formations habilitées avaient droit à :
- la propagande officielle distribuée par courrier,
- des spots audiovisuels,
- une affiche sur les panneaux dédiés,
- le remboursement des frais dans la limite de treize millions de francs Pacifique.
► L'ambiance était telle que la sincérité du futur scrutin a été questionnée au niveau politique bien avant qu'il ne se profile. Le Comité des sages - des personnalités chargées de veiller à la bonne tenue de la campagne - a été réactivé avant l'heure.
► Une campagne avare en sondages, à part celui publié par un hebdomadaire local en mars. A l'approche du référendum, pas d'enquête d'opinion qui soit rendue publique. Il y a deux ans, les résultats se sont avérés bien différents de ce que dessinaient les sondages, auxquels on a prêté un effet sur la mobilisation des loyalistes.
► Aujourd'hui, tous les protagonistes ciblent les abstentionnistes de 2018. Si 81 % des électeurs se sont rendus aux urnes, ils ont été environ 33 000 à bouder l'isoloir - plus de 19 000 dans le Sud, autour de 8 300 aux Loyauté et 5 600 dans le Nord.
► L'ordre d'affichage devant les bureaux de vote a été tiré au sort début septembre :
1. Parti travailliste
2. Loyalistes 2
3. UC-FLNKS et Nationalistes
4. Calédonie ensemble
5. Uni
6. Loyalistes 1.
#7. Un scrutin très cadré
► Comme il y a deux ans, tout un dispositif est prévu pour veiller à la régularité et la sincérité du vote le 4 octobre. C'est quasiment le même, sous réserve des contraintes liées à la crise sanitaire : quatorzaine obligatoire pour ceux qui entrent en Calédonie y compris les membres de la commission de contrôle, les délégués, les observateurs ou les forces de l'ordre appelées en renfort.► La «commission de contrôle de l'organisation et du déroulement de la consultation» est reconduite à peu près à l'identique. Composée de cinq membres, elle reste présidée par le conseiller d'Etat Francis Lamy. Pour l'appuyer sur le terrain, 248 délégués (membres du Conseil d'Etat, magistrats, hauts fonctionnaires), dont une partie arrivée de Métropole le 16 septembre. Sept d'entre eux sont dépêchés depuis Wallis. Ils sont répartis dans les bureaux afin de superviser le vote en relais de la commission.
► Ils devaient disposer cette année d'une application numérique pour les problèmes d'inscription constatés à la dernière minute. Le 4 novembre 2018, la cellule d’appui juridique du haussariat avait été submergée par les demandes urgentes.
►Côté observateurs internationaux, une mission de l’Onu est présente depuis le 1er septembre et jusqu’au 9 octobre. Douze experts menés par Tadjoudine Ali-Diabacté. Considérant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'Organisation des Nations unies a réinscrit en 1986 la Calédonie sur la liste des territoires à décoloniser.
Le Forum des Îles du Pacifique devait également être représenté.
► En matière de sécurité, il faut s'attendre à une montée en puissance progressive des forces de l’ordre, 1 200 policiers ou gendarmes ont été annoncés le jour du vote. Leur mission : sécuriser les routes, pour assurer la libre circulation des électeurs, et les bureaux de vote.
► Précaution d'usage, comme en 2018, la vente d'alcool est réglementée un peu avant et un peu après le week-end du référendum. Le port et le transport d'armes est interdit durant deux jours.
► Pour veiller au bon déroulement du scrutin, une COZ («cellule opérationnelle zonale»!) sera activée au haut-commissariat. Destinée à centraliser les infos pour les remonter aux autorités, elle aura aussi comme rôle de réagir en cas de trouble à l'ordre public, en lien avec la police et la gendarmerie.
#8. Le jour d'après en cas de Oui
► Que se passera-t-il pour les Calédoniennes et les Calédoniens si le Oui l'emporte le 4 octobre ? Indépendantistes et non-indépendantistes ont leur «petite» idée sur cette question majeure. L'Etat était attendu au tournant pour donner sa vision de l'après.► Il l'a fait en diffusant le 25 août «les implications de la consultation». Deux pages destinées à être envoyées par courrier à tous les électeurs (à feuilleter ci-dessous ou à lire là). Ce document qui se veut neutre et disant le droit s'avère quasi identique à celui d'il y a deux ans. Il avait pourtant été question de l'enrichir et le développer.
TRANSITION. Si c'est Oui, la Calédonie devient un Etat indépendant. Elle doit en poser les fondements et adopter une Constitution. Mais «la France […] ne se retirera pas brutalement»: elle continuera d'assurer «la sécurité, l’ordre public, la monnaie, la justice […] pendant une période de transition […] limitée dans le temps». Les autorités «de la France et celles de la Nouvelle-Calédonie se mettront d’accord pour fixer un calendrier et les modalités du transfert des compétences de la France au nouvel État».
DIFFERENCES. Une petite phrase s'ajoute ici, comparé à la version 2018 du texte : «Le nouvel État décidera souverainement de la manière d’exercer ces compétences.» Autre ajout : «Conformément à l’Accord de Nouméa, le résultat de cette consultation s’appliquera globalement pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie.» On se rappelle du sénateur Pierre Frogier (Les Républicains) évoquant une «différenciation provinciale».
SEPARATION. «A une date qui sera choisie de concert, poursuit le document, une loi française marquera en droit interne la fin de l’appartenance de la Nouvelle-Calédonie à l’ensemble français, tandis que les autorités du nouvel Etat devront procéder à une déclaration unilatérale d’indépendance sur la scène internationale».
FINANCEMENTS. «Les mécanismes actuels des financements de l’Etat, reposant sur l’Accord de Nouméa, n’auront plus de fondement juridique, et seront donc caducs, poursuit le texte. Les relations financières entre la France et la Nouvelle-Calédonie seront établies dans le cadre de la politique publique d’aide au développement.»
NATIONALITE. Le nouvel Etat fixera les critères qui permettent d'accéder à la nationalité, et au passeport qui ira de pair. «L’Assemblée nationale et le Sénat devront par ailleurs débattre et voter une loi pour déterminer les conditions dans lesquelles un maintien dans la nationalité française de certains ressortissants du nouvel État serait possible.»
#9. En cas de Non
STATU QUO. Selon le document diffusé par l'Etat, en cas de Non le 4 octobre, la Calédonie demeure une collectivité française, Paris continue à l'accompagner, la situation des institutions et le statut de la population restent les mêmes. Les compétences déjà transférées ne sont pas récupérées, puisque l'Accord de Nouméa assure le caractère irréversible de ces transferts. Et que l’Etat continue d’apporter les financements «nécessaires à l’exercice des compétences déjà transférées».TROISIEME REFERENDUM. C'est prévu par l'Accord de Nouméa : «si un tiers des membres du Congrès […] le demandait, à partir du sixième mois suivant le scrutin, un troisième référendum portant sur la même question sera organisé dans les dix-huit mois qui suivent cette demande.
► Les indépendantistes ont exprimé leur déception face à une communication jugée «minimaliste» et un texte qualifié de «réchauffé».
#10. La fois d’avant
Le 4 octobre 2020 passera-t-il à la postérité comme le 4 novembre 2018 ? La Nouvelle-Calédonie a vécu le premier référendum prévu par l'Accord de Nouméa avec intensité, sous les yeux du monde. Plus serré qu'attendu, l'écart entre le Oui et le Non a pu surprendre. Chaque camp y a toutefois trouvé matière à satisfaction. La participation a été historique, autour de 81 %. Un scrutin dont la réussite a été unanimement reconnue et dont les résultats n'ont pas été contestés.Qu'en sera-t-il pour le deuxième, alors que la planète semble surtout préoccupée par le coronavirus ? En attendant la réponse, revivez ce jour historique avec notre grand format :
Nouvelle-Calédonie : tout savoir sur le référendum de 2018
Et pour expliquer tout ça encore plus simplement, notre résumé du dossier calédonien en moins de deux minutes :
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