Nouvelle-Calédonie, vie chère, accès à l'eau... Les cinq grands dossiers ultramarins qui attendent le nouveau gouvernement

Devant l'Hôtel de Matignon, où siège le Premier ministre.
Emmanuel Macron reçoit les chefs des partis et des groupes parlementaires ce vendredi 23 août et lundi 26 août pour tenter de former une majorité et nommer un nouveau (ou une nouvelle) chef de gouvernement. En Outre-mer, de nombreux sujets brûlants devront être gérés rapidement par le nouvel exécutif.

Depuis le 16 juillet, la France est dirigée par un gouvernement démissionnaire, chargé de traiter les affaires courantes. Mais, la parenthèse enchantée des Jeux Olympiques étant terminée, la vie politique a repris son cours. Les élections législatives anticipées de début juillet ont laissé un pays complètement fracturé et sans majorité. Désormais, il faut trouver la bonne personne pour gouverner.

C'est donc dans cette optique que le président de la République Emmanuel Macron a convié les dirigeants des partis politiques et des groupes parlementaires à l'Élysée, ce vendredi 23 août et lundi 26 août. Objectif : "continuer à avancer vers la constitution d'une majorité la plus large et la plus stable possible".

Le chef de l'État aura-t-il une idée plus claire du nom du prochain Premier ministre (ou de la prochaine Première ministre) à l'issue de ces discussions ? Peut-être, même si la tâche semble compliquée. Il est en tout cas peu probable qu'un nouveau gouvernement soit nommé avant les Jeux Paralympiques, prévus du 28 août au 8 septembre.

En attendant, de nombreux dossiers s'empilent sur les bureaux des ministères. La Nouvelle-Calédonie s'enfonce dans la crise. Mayotte et la Guyane font face à des flux migratoires importants. La population ultramarine subit encore et toujours la cherté de la vie. Les collectivités réclament plus d'autonomie... Voici les dossiers ultramarins pressants qui occuperont les membres du futur gouvernement une fois qu'ils seront nommés.

  • La crise politique et économique en Nouvelle-Calédonie

Le vote de la réforme sur le dégel du corps électoral calédonien a embrasé la Nouvelle-Calédonie. Depuis le mois de mai, le Caillou est en proie à une crise inédite qui rappelle les heures sombres des Évènements des années 1980. Onze personnes ont été tuées (la dernière victime remonte à la semaine dernière, dans la commune de Thio), des centaines de maisons, d'entreprises et de véhicules ont été pillés, incendiés et dégradés, les services et l'économie du territoire ont dû s'adapter aux blocages... Début juillet, le gouvernement local estimait le coût de la crise à 265 milliards de francs pacifique (soit 2,2 milliards d'euros).

Voiture calcinée en Nouvelle-Calédonie alors que des violentes émeutes secouent le territoire depuis le 13 mai 2024

Si la dissolution de l'Assemblée nationale a entraîné la suspension de la tant controversée réforme constitutionnelle sur le dégel du corps électoral, la vie n'est pas revenue à la normale en Nouvelle-Calédonie. Le 25 juillet, alors que le pays avait la tête aux Jeux Olympiques, le président Emmanuel Macron a reçu les quatre parlementaires du territoire (deux non-indépendantistes, deux indépendantistes) pour évoquer la suite politique à donner à la crise. "Entre les élections, la dissolution, les Jeux Olympiques, la mise en place du gouvernement… Tout ce qui se passe au pays [en Nouvelle-Calédonie, ndlr] doit être quand même un enjeu prioritaire pour l'État. On est venus le rappeler", résumait le sénateur kanak Robert Xowie au sortir de la réunion.

Peu importe le nom ou la couleur politique du prochain chef du gouvernement, Emmanuel Macron compte bien garder la main sur le dossier calédonien, géré jusque-là par Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer. Pourtant, le président devra malgré tout faire avec son nouveau partenaire de Matignon et la future majorité parlementaire, notamment pour résoudre la question du corps électoral. L'exécutif voudra-t-il remettre son projet de loi à l'ordre du jour ? Ou bien attendra-t-il que les acteurs locaux trouvent eux-mêmes un accord ? Les élections provinciales, d'abord prévues en mai, mais décalées au plus tard au 15 décembre 2024, seront-elles de nouveau reportées ? Qui pourra voter ? Beaucoup de questions auxquelles le nouveau gouvernement devra répondre rapidement.

Il faudra par ailleurs que le pouvoir sorte la Nouvelle-Calédonie de la crise alors que le territoire s'enfonce dans un marasme économique et que l'industrie du nickel s'effondre. Le parti non-indépendantiste Calédonie Ensemble a présenté un plan quinquennal de 500 milliards de francs pacifique (4,2 milliards d'euros) au Congrès de Nouvelle-Calédonie pour relancer l'économie locale. La somme serait à la charge de l'État. Mais les élus calédoniens ne se sont pas encore mis d'accord sur ce plan d'aide, qui sera examiné en réunion avec tous les groupes politiques dans les prochains jours.

  • La lutte contre la vie chère

Il n'y a plus besoin de le démontrer : en Outre-mer, le coût de la vie est bien plus élevé que dans l'Hexagone. Une commission d'enquête parlementaire s'était longuement penchée sur la question l'année dernière. Éloignement, dépendance aux importations, coût du fret, pratiques anticoncurrentielles... Les explications sont nombreuses pour tenter de comprendre le phénomène.

Dans les rayons des supermarchés, les prix des produits sont donc exorbitants. La récente crise inflationniste liée en partie à la guerre en Ukraine n'a pas arrangé les choses. Les Ultramarins, qui sont par ailleurs davantage touchés par le chômage et la pauvreté que leurs concitoyens de l'Hexagone, sont complètement étranglés économiquement. Il y a un an, l'Insee précisait que l'écart de prix des produits alimentaires en Outre-mer avec ceux de l'Hexagone frôlait les 40 % aux Antilles et en Guyane, 37 % à La Réunion et 30 % à Mayotte.

Dans les rayons d'un magasin d'alimentation calédonien.

L'État, régulièrement alerté sur la situation, a pris quelques mesures pour atténuer la cherté de la vie ultramarine. Les autorités ont par exemple mis en place un bouclier qualité-prix dans certains territoires, bloquant le prix d'une sélection de produits de première nécessité. Une mission sur les monopoles et oligopoles dans les départements, régions et collectivités ultramarines a aussi été lancée par le gouvernement.

Mais ce n'est pas suffisant. Le gouvernement a donc lancé plusieurs pistes pour régler le problème de la cherté de la vie dans ses 72 mesures du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM), présentées en juillet 2023. Parmi celles-ci, il prévoyait de réformer l'octroi de mer, de revoir la régulation des prix du carburant, d'octroyer davantage d'aides pour financer les billets d'avion ou encore de dynamiser les économies en favorisant l'intégration régionale des territoires avec les pays voisins... Avec la démission du gouvernement, ces mesures seront-elles appliquées ? Au prochain locataire de Matignon de répondre.

  • L'immigration à Mayotte et en Guyane

Haïti, Comores, Syrie... De nombreux demandeurs d'asile et migrants économiques trouvent refuge dans les territoires d'Outre-mer, et en particulier à Mayotte et en Guyane. Mais, souvent, les infrastructures d'accueil ne sont pas suffisantes pour répondre à toutes les demandes. Les personnes immigrées dans les départements et régions ultramarines vivent donc généralement dans des conditions précaires et sont parfois rejetées par la population.

En 2023, Mayotte a enregistré 2650 demandes d'asile, en provenance principalement des Comores, de Madagascar et, de plus en plus, d'Afrique des Grands Lacs. On estime que près de la moitié de la population y est d'origine étrangère.

Dans cet archipel de l'océan Indien, le sentiment antimigrants ne cesse de s'accentuer au fur et à mesure que les kwassas débarquent sur les plages mahoraises. Il est arrivé à son paroxysme fin 2023. Après une période d'accalmie sur le front de la délinquance et de l'insécurité suite à l'opération Wuambushu, les renforts policiers ont quitté le département. Les agressions et caillassages sont repartis de plus belle. Les habitants, excédés, ont alors concentré leur colère sur un camp de migrants installé autour du stade de Cavani, à Mamoudzou.

Pendant plusieurs semaines, les Mahorais et Mahoraises, regroupés dans des collectifs, ont organisé le blocage du département, asphyxiant l'économie et réclamant au gouvernement des mesures fortes. Gérald Darmanin, dépêché par Emmanuel Macron, s'est aussitôt rendu sur place, y annonçant la suppression totale du droit du sol (via une réforme constitutionnelle) et un projet de loi Mayotte visant à répondre aux maux du territoire ultramarin sur le plan économique, social ou encore sécuritaire. Avec l'annonce surprise de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin, ces deux textes sont néanmoins passés à la trappe. Le prochain gouvernement devra tout reprendre à zéro (s'il le souhaite) une fois qu'il sera installé.

Un des barrages de Chirongui, ce lundi

Les questions liées à l'accueil des migrants deviennent de plus en plus prenantes en Guyane aussi. Entre 2022 et 2023, le nombre de demandeurs d'asile originaires principalement d'Haïti, de Syrie et d'Afghanistan y a doublé. Or, cet afflux inquiète les autorités guyanaises, qui s'estiment démunies pour accueillir dignement tout le monde. "Je pense qu’actuellement, il n’y a aucune solution pour répondre de façon digne à tous ces migrants (...) qui arrivent sur notre territoire", disait en avril Sandra Trochimara, la maire de Cayenne, après une nouvelle arrivée de réfugiés dans sa commune.

Dans le chef-lieu guyanais, les migrants s'installent dans des bidonvilles sur la place des Amandiers, régulièrement évacuée, ou bien dans le squat de Baduel, touché par un incendie fin juillet. La semaine dernière, la maire, qui avait fait une grève de la faim en 2022 pour alerter sur les conditions d'accueil des réfugiés, s'est rendue à Paris pour évoquer le sujet avec le chef de cabinet du président de la République.

  • L'accès à l'eau potable

Il n'est pas rare que l'ONU rappelle la France à l'ordre concernant le droit d'accès à l'eau potable de ses habitants d'Outre-mer. "Un réseau vétuste, des canalisations qui fuient, des stations d'épuration défectueuses, un logiciel de facturation défaillant, entre autres dysfonctionnements, sont le résultat de nombreuses années de négligence de la part des opérateurs privés, des collectivités locales et de l'État", grondaient des experts du Conseil des droits de l'homme au mois de mars, appelant les autorités à garantir l'accès à l'eau potable en Guadeloupe.

Que ce soit en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion ou à Mayotte, bon nombre d'Ultramarins rencontrent des difficultés d'accès à la ressource, ce qui engendre de graves problèmes sanitaires et économiques. En 2022, selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE), 30 % de la population de Mayotte était concernée. En Guyane, le taux était entre 15 % et 20 %. 

Agriculteur à Ongojou

Dans les mesures du CIOM, le gouvernement promettait une deuxième usine de dessalinisation à Mayotte. Celle-ci devrait voir le jour en 2025. L'Etat prévoyait aussi de renforcer son plan eau DOM. Mais les changements récurrents de ministres des Outre-mer n'ont pas permis d'avancer aussi rapidement qu'annoncé. Au successeur de Gabriel Attal de s'emparer de la question de l'eau dans les Outre-mer.

  • Les demandes d'évolution institutionnelle

Si l'avenir de la Nouvelle-Calédonie est sans aucun doute le dossier le plus brûlant auquel devra s'atteler l'exécutif dans les prochains mois, l'évolution institutionnelle des autres territoires d'Outre-mer reste également un sujet d'actualité pour les collectivités ultramarines. En 2022, réunis à Fort-de-France, de nombreux dirigeants d'exécutifs régionaux et départementaux avaient lancé un appel pour redéfinir les relations entre l'État et les Outre-mer.

Louis Mussington (Saint-Martin), Serge Letchimy (Martinique), Huguette Bello (Réunion), Ary Chalus (Guadeloupe), Ben Issa Ousseni (Mayotte), Gabriel Serville (Guyane).

Les élus ultramarins ont depuis été reçus plusieurs fois par le chef de l'État. Mais rien n'a réellement évolué sous les différents gouvernements de l'ère Macron. Si ce n'est la nomination, en janvier, de deux experts chargés de mener des consultations sur une éventuelle évolution institutionnelle des territoires d'Outre-mer. La Guyane, la Martinique et la Guadeloupe ont déjà lancé leurs propres consultations locales. Sans suites de la part des autorités, pour l'instant. À moins que le prochain Premier ministre (ou la prochaine Première ministre) décide d'accélérer le processus.